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J’apporte au fond de ma pensée de magnifiques bijoux, des diamans pour la couronne de l’avenir, des trésors pour le temple du Dieu nouveau, du grand inconnu. Et que de livres dans mon cerveau ! que de livres biffés, confisqués par la censure ! Sachez, bonnes gens, qu’il n’en est point de pire dans la bibliothèque de Satan. Je les crois même plus dangereux que les œuvres de M. Hoffmann de Fallersleben.

M. Heine a toujours au bout de sa plume un nom propre qui vient ponctuer sa phrase. On a déjà vu qu’il s’attaquait volontiers à ses confrères. M. Hoffmann de Fallersleben, ce chansonnier inoffensif, même dans ses colères, et d’une gaucherie assez aimable, arrive vraiment très à propos après la bibliothèque du diable. Qu’il se console ; il n’est pas le seul que piqueront les aiguilles de M. Heine. Je tourne la page, et j’aperçois M. Charles Mayer que notre homme prend à partie, en arrivant à Aix-la-Chapelle. Que vient faire là M. Charles Mayer, un gracieux élève de cette école d’Uhland poursuivie avec tant de cruauté et d’injustice par l’auteur des Reisebilder ? À quel propos M. Heine amène-t-il son nom ? À propos de Charlemagne. Il nous conduit devant le tombeau du grand empereur franc, devant l’inscription fameuse, Carolo Magno, et nous prie de ne pas confondre Charlemagne avec M. Charles Mayer. « Après tout, ajoute-t-il, j’aime mieux être un tout petit poète et vivre à Stuttgart que d’avoir été Charlemagne et d’être enseveli à Aix-la-Chapelle, car Aix-la-Chapelle est bien ennuyeux. » M. Heine ne voulait qu’une transition, et il abandonne M. Charles Mayer pour courir sus aux Prussiens. C’est là surtout ce qui lui déplaît à Aix-la-Chapelle, c’est la garnison prussienne, ce sont ces officiers au col raide, aux allures maussades, ces soldats avec leurs mouvemens à angle droit, ces moustaches disciplinées militairement, et puis le nouvel uniforme, le nouveau casque avec ses prétentions chevaleresques et un air moyen-âge qui réjouira, dit-il. toute l’école romantique, M. Tieck et M. Uhland. Je voudrais citer quelques vers de ce chapitre, qui est fort amusant ; mais le poète m’entraîne, et voici déjà qu’il entre à Cologne.

Êtes-vous allé à Cologne ? Vous êtes-vous promené dans ses rues noires ? Avez-vous visité le dôme ? Avez-vous vu la grue encore debout sur les tours inachevées, et le chœur avec les arcades, les statues dans les niches, les ogives ciselées, les colonnettes qui s’élancent ? Un pieux respect vous saisit quand vous entrez dans ces murs si sombres. Malgré l’aspect monacal de la ville, l’émotion qu’elle inspire est douce. Toutes ces églises son vénérables, Sainte-Ursule, Saint-Pierre, Saint-Martin.