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titre de leur premier succès, craignent de le compromettre dans des tentatives immodérées. Nous ne partageons pas leurs défiances, mais nous aimons à reconnaître avec eux que, telle qu’elle existe, la caisse d’épargne est déjà la pépinière de la fortune du peuple.

Quelques économistes ont cherché, dans ces derniers temps, à faire prévaloir les compagnies viagères sur la caisse d’épargne : nous ne partageons pas leur avis ; ces institutions ont à nos yeux le tort de créer souvent, par des tables artificielles, une mortalité qui n’est pas dans la nature. Il en résulte des calculs entachés de promesses illusoires dont l’évènement ne se réalise jamais. Loin de nous, toutefois, la pensée de repousser toutes les combinaisons des sociétés mutuelles sur la vie : les assurances en cas de mort, les caisses dotales, les caisses d’assurance pour le recrutement militaire, nous paraissent en elles-mêmes d’excellentes branches d’une même institution, et très propres à produire cette solidarité des intérêts qui est le but de l’économie moderne. Nous croyons que l’état ferait bien de les enter peu à peu sur la caisse d’épargne. S’il faut exprimer ici toute notre pensée, nous ajouterons que la caisse d’épargne, pour atteindre complètement son but, devra se transformer dans l’avenir en une banque d’escompte pour le petit commerce, et en une banque de prêt aux ouvriers. Ce sera le moyen de rendre à la circulation, c’est-à-dire à la vie, les fonds qu’elle engloutit maintenant dans le trésor. Ce sera également le moyen de créer un point de contact entre le capital et le travail pour les féconder l’un par l’autre. Lorsqu’on s’adresse maintenant à la portion souffrante de la classe ouvrière, et qu’on lui vante les bienfaits de l’épargne, elle vous répond : « Comment voulez-vous que j’amasse, puisque je n’ai pas même de quoi subvenir à mes besoins ? Avant d’économiser, il faut vivre. » Cet argument est d’une certaine force, et nous ne croyons pas qu’on y réponde par l’état actuel de l’institution. L’expérience démontre qu’un homme tombé dans l’extrême misère est incapable de se relever par lui-même ; il faut qu’une main étrangère (nous voudrions que ce fût la main de l’état) vienne à son secours. Jusqu’ici, la caisse d’épargne est une institution passive ; elle attend : nous voudrions qu’elle agît, qu’elle allât au-devant, et que, non contente d’être prête à recevoir les fruits d’une économie souvent impossible, elle fournît à la classe pauvre un moyen efficace pour se retirer de la gêne. Tous ceux qui ont étudié de près la condition des classes laborieuses savent que sur une journée de 2 fr. l’ouvrier en doit souvent la moitié aux prêteurs sur gage ou sur parole, qui lui ont avancé ses vêtemens, son lit et les premiers instrumens de son travail. La production se trouve ainsi chargée