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REVUE. — CHRONIQUE.

lement religieuse, mais aussi nationale. Henri VIII et Élisabeth firent en Irlande ce qu’ils avaient fait en Angleterre, ils confisquèrent et distribuèrent toutes les propriétés religieuses ; mais le peuple s’attacha plus que jamais à son clergé dépouillé et proscrit. Il y avait entre eux une solidarité nationale qui avait sa source dans des évènemens bien antérieurs aux guerres religieuses. À l’époque de la conquête normande, au XIIe siècle, le clergé irlandais avait partagé courageusement le sort de la population indigène. Le clergé séculier était alors composé par une classe d’hommes beaucoup plus cultivés qu’on n’aurait dû l’attendre dans l’état presque barbare du pays. C’étaient en général des Irlandais élevés dans les universités d’Espagne, et même des Espagnols émigrés. Une chose curieuse à remarquer aujourd’hui, c’est que cette Irlande, qui est le dernier boulevard de l’église de Rome dans les îles britanniques, fut octroyée à l’Angleterre par deux papes, par les bulles d’Adrien IV et d’Alexandre III.

Ce fut, au reste, pour cette raison, que les biens monastiques furent en général respectés lors de la conquête par Henri II. Les monastères servirent d’asile à la population indigène, les conquérans eurent à lutter pendant près de quatre siècles, et ne purent achever leur œuvre qu’à l’aide de la réformation. À cette époque, la confraternité du clergé et du peuple irlandais fut cimentée de nouveau par la persécution que souffrit à son tour le clergé. La résistance, qui n’avait jusque-là été que nationale, devint aussi religieuse ; les Anglais ne furent plus seulement des Saxons, ils furent encore des hérétiques.

Les soixante années qui suivirent l’introduction de la réforme en Irlande sont des plus sanglantes que l’histoire ait jamais eu à raconter. La possession de la terre changea entièrement de mains ; les biens du clergé régulier furent distribués à des nobles anglais, et les dignités et les revenus du clergé séculier passèrent à peu près intactes aux dignitaires de l’église protestante. Ce fut dès cette époque que commença ce système qui est devenu la plaie de l’Irlande, et qu’on appelle l’absentéisme. Le clergé protestant, presqu’entièrement composé d’Anglais, resta en Angleterre au lieu de résider en Irlande, et dépensa dans son pays les revenus qu’il tirait du pays conquis. Il afferma ses bénéfices à des entrepreneurs qui lui payaient une somme fixe, et qui acquéraient en échange le droit d’exploiter et de pressurer les tenanciers de la terre. Telle fut l’origine de l’absentéisme, qui s’est perpétué jusqu’à nos jours, et qui est une des principales sources de la misère de l’Irlande.

En se contentant de cette occupation matérielle du territoire, le clergé protestant abandonnait lui-même toute chance de domination morale. Aussi le clergé catholique conserva-t-il toute son influence ; des communications actives furent maintenues, malgré les lois pénales, entre l’Irlande et l’Espagne, et entretinrent le feu sacré dans l’Île des Saints.

De meilleurs jours semblèrent se préparer pour l’Irlande quand la révolution de 1640 força Charles Ier à recourir aux catholiques irlandais ; mais le bras implacable de Cromwell n’en retomba que plus lourdement sur ce mal-