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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

gnole. Ses habitans le savent et s’en glorifient. Ils savent aussi à quelles conditions ces bienfaits d’une nature prodigue ne resteront pas inutiles entre leurs mains. Fatigués de révolutions, ils désirent un pouvoir fort, mais modéré, mais éclairé, mais réparateur. Dans quelles institutions, en quel homme et chez quel parti le trouveront-ils ? C’est ce que nous ne prévoyons pas, nous le disons avec tristesse, et nous croyons que Buenos-Ayres est condamné pour bien long-temps encore à souffrir ou des excès d’un despotisme exterminateur, ou des sanglans désordres de l’anarchie. Pour peu qu’on ait vu ce beau pays, pour peu qu’on ait vécu au milieu de cette population intelligente et aimable, on lui désire un autre sort, et c’est à peine si on lui pardonne sa dégradation et ses malheurs, parce qu’on ne partage point les passions insensées et les ressentimens aveugles qui sont la source de ses infortunes et qui les perpétueront

Avant la révolution de juillet, on se faisait beaucoup d’illusions sur le présent et l’avenir des nouvelles républiques de l’Amérique du Sud. L’ignorance de la situation réelle des choses y avait sa part ; l’esprit d’opposition au gouvernement de l’époque, qui ne se hâtait point de reconnaître leur indépendance, en avait peut-être une encore plus grande. Il était de mode de les flatter. Maintenant, c’est la mode contraire qui prévaut : la réaction est complète, et l’insouciance publique confond tous les états dans un sentiment commun, qui n’est aujourd’hui flatteur pour aucun d’eux, et qui n’est pas juste pour tous. Nous avons voulu rester ici dans le vrai, avec bienveillance toutefois, et sans y attacher d’autre intérêt que celui de la justice et de la raison. Nous aurions rempli notre tâche si, dans nos impressions sincèrement rapportées, tous les hommes sensés qui ont visité la Plata depuis trois ans retrouvaient les leurs, et n’avaient à nous reprocher que de n’avoir pas assez énergiquement rendu ce qu’ils ont senti comme nous.


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