Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/966

Cette page a été validée par deux contributeurs.
962
REVUE DES DEUX MONDES.

connu, ne fût-ce qu’à cause des motifs qu’il invoque pour excuser cet atroce évènement ; il est intitulé Sve-Oslobod (entièrement affranchi).

« Les rayas du Zenta ont, à force de présens, obtenu du pacha de la sanglante Skadar la permission de bâtir une église. Le petit édifice terminé, le pope Iove se présente aux anciens des tribus réunis en sobor, et leur dit : — Notre église est bâtie, mais ce n’est qu’une profane caverne tant qu’on ne l’aura pas bénie ; obtenons donc par de l’argent du pacha un sauf-conduit pour que l’évêque tsernogortse vienne la consacrer. Le pacha délivre le sauf-conduit pour le noir caloyer, et les députés du Zenta vont en hâte le porter au vladika de Tsetinié. Danilo-Petravitj, en lisant cet écrit, secoue la tête et dit : — Il n’y a point de promesse sacrée parmi ces Turcs ; mais, pour l’amour de notre sainte foi, j’irai, dussé-je ne pas revenir. Il fait seller son meilleur cheval et part. Les perfides musulmans le laissèrent bénir l’église, puis ils le saisirent et le menèrent, les mains liées derrière le dos, à Podgoritsa. À cette nouvelle, tout le Zenta, plaine et montagne, se leva et vint dans la maudite Skadar implorer Oramer-Pacha, qui fixa la rançon de l’évêque à 3,000 ducats d’or. Pour compléter cette somme, de concert avec les tribus du Zenta, les Tsernogortses durent vendre tous les vases sacrés de Tsetinié.

« Le vladika est élargi : en voyant revenir leur éclatant soleil, les montagnards ne purent retenir leurs transports de joie ; mais Danilo, qu’affligeaient depuis long-temps les conquêtes spirituelles des Turcs cantonnés dans le Tsernogore, et qui prévoyait l’apostasie de son peuple, demande en ce moment aux tribus rassemblées de convenir entre elles d’un jour où les Turcs seront dans tout le pays attaqués et massacrés. À cette proposition, la plupart des glavars se taisent ; les cinq frères Martinovitj s’offrent seuls pour exécuter le complot. La nuit de Noël est choisie pour être la nuit du massacre, qui aura lieu en souvenir des victimes de Kossovo.

« L’époque fixée pour la sainte veille arrive, les frères Martinovitj allument leurs cierges sacrés, ils prient avec ferveur le Dieu nouveau-né, boivent chacun une coupe de vin à la gloire du Christ, et, saisissant leurs massues bénies, ils s’élancent à travers les ténèbres. Partout où il y a des Turcs, les cinq exécuteurs apparaissent ; tous ceux qui refusent le baptême sont massacrés sans pitié, ceux qui embrassent la croix sont présentés comme frères au vladika. Le peuple réuni à Tsetinié salua l’aurore de Noël par des chants d’allégresse ; pour la première fois depuis le jour de Kossovo, il pouvait s’écrier : Le Tsernogore est libre[1] ! »

Ainsi furent rendues à l’indépendance les tribus de la Katounska-Nahia. Il restait à délivrer les districts voisins encore asservis. Alors

  1. Cette piesma se chante encore aujourd’hui dans la famille des Martinovitj.