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sentent trop bien pour cela que gouverner c’est agir, et que le parti qui veut borner ses efforts à vivre paisiblement est un parti perdu. Les tories, à une autre époque, ont pu rester immobiles à l’intérieur parce qu’ils soutenaient au dehors une lutte gigantesque. Aujourd’hui cette lutte est finie, et ils se montrent, plus que les whigs eux-mêmes, pacifiques au dehors ; mais en retour ils font quelque chose à l’intérieur et se mettent hardiment à la tête des réformes.

Le parti conservateur anglais a d’ailleurs le bonheur d’avoir un chef qui s’inquiète plus de l’état que de lui-même, plus de sa renommée que de son existence ministérielle. Ce n’est donc pas lui qui, pour garder le pouvoir quelques jours de plus, consentirait à le mettre aux pieds des plus étroits préjugés et des intérêts les plus égoïstes. Ce n’est pas lui qui, après avoir conçu une grande pensée, l’abandonnerait subitement de peur de perdre quelques voix dans le parlement. Sir Robert Peel l’a dit plus d’une fois, et je le crois très sincèrement : ce qu’il veut, c’est d’abord être utile à son pays, ensuite tenir une place glorieuse dans l’histoire. Avec une telle pensée, il est des choses auxquelles un homme d’état ne se résigne jamais.

Quoi qu’il en soit, je le répète, la cause de la réforme a gagné plutôt que perdu à la chute du dernier cabinet et à l’avènement du nouveau. Qu’aux élections de 1841 comme à celles de 1837 lord Melbourne obtînt une majorité de 15 ou 20 voix, et voici ce qui serait arrivé. Lord Melbourne eût proposé des mesures aussi libérales, plus libérales à certains égards que sir Robert Peel ; mais ces mesures, après avoir passé péniblement dans la chambre des communes, se seraient infailliblement brisées contre l’opposition de la chambre des lords. Puis, au bout de deux ou trois années de lutte, on serait arrivé, de guerre lasse, à quelque transaction qui eût dépouillé ces mesures de toute vie et de toute efficacité. Par la force de sa situation, sir Robert Peel au contraire a maîtrisé les deux chambres, et fait faire tout d’un coup à son pays un pas énorme. C’est là un exemple auquel feraient bien de réfléchir d’autres conservateurs, s’ils veulent conserver le pouvoir et surtout le mériter.

Je viens aux whigs, dont la situation au contraire est bien loin de s’être améliorée depuis un an. En proposant leurs trois grandes mesures, les whigs semblaient avoir renouvelé et scellé un pacte solide et durable avec les radicaux. C’est, en effet, ce qui fût arrivé si sir Robert Peel eût gouverné par les conseils du duc de Buckhingham et de sir Robert Inglis ; mais les réformes de sir Robert Peel, bien que