Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/565

Cette page a été validée par deux contributeurs.
561
L’ANGLETERRE ET LE MINISTÈRE TORY.

relever la barrière à demi tombée entre deux religions, entre deux peuples ; il s’agissait, en un mot, de rejeter dans la plus violente opposition le parti catholique tout entier et les agitateurs éminens dont l’influence et l’autorité avaient, dans tant de circonstances graves, reçu une éclatante consécration. Ce n’est pas qu’on ne crût à la parfaite modération et aux idées conciliantes de sir Robert Peel, mais que pouvait-il faire de ses idées conciliantes et de sa modération dans un pays où il n’existe guère que des partis extrêmes, dans un pays où le seul fait de son avénement allait combler de joie un de ces partis, et jeter l’autre presque dans l’insurrection ?

Je dois l’avouer franchement, l’an dernier, je penchais vers cette opinion, et sans croire, comme quelques personnes, à une collision prochaine, je pensais qu’O’Connell devait puiser une force nouvelle dans l’avénement des tories, et reconquérir en peu de temps la royauté morale qu’il avait compromise en agitant hors de propos la question du rappel de l’union ; je pensais que cette question même pouvait devenir formidable. Eh bien ! rien de tout cela n’est arrivé. Depuis l’an dernier, le bill des corporations a été appliqué en Irlande pour la première fois, et O’Connell, nommé lord-maire, a pu, comme premier magistrat de la cité, aller en grande pompe, au milieu d’un concours immense de peuple, entendre la première messe à l’église catholique. L’impôt volontaire qui se perçoit à son profit a dépassé le chiffre de l’année précédente ; il a parlé, écrit plus que jamais, tantôt dans la réunion hebdomadaire de l’association pour le rappel, tantôt dans des meetings convoqués tout exprès ; ses lieutenans enfin, et notamment « le pacificateur en chef (head pacificator) » Tom Steele, ont fait, tous les quinze jours au moins, un ou deux appels à la révolte, et, malgré tout cela, jamais l’Irlande n’avait été plus paisible, jamais la voix du grand agitateur n’avait, en apparence du moins, trouvé si peu d’écho. Il y a plus. Des catholiques illustres comme le comte de Shrewsbury, des partisans connus du rappel de l’union comme M. O’Brien, des whigs-radicaux comme M. Ponsonby, ont saisi précisément ce moment pour se séparer de M. 0’Connell, pour répudier ses idées et ses projets. Le parti modérateur libéral, dont le duc de Leinster et lord Charlemont sont les chefs, s’est ainsi fortifié au lieu de s’affaiblir, et ce parti a paru disposé à ne pas faire au gouvernement nouveau d’opposition systématique. En un mot, la grande difficulté de l’Irlande semble s’être évanouie rien qu’à la regarder.

C’est là un fait très extraordinaire et très peu prévu. Maintenant ce