Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/524

Cette page a été validée par deux contributeurs.
520
REVUE DES DEUX MONDES.

acheteurs qui paient et des lois qui empêchent le paiement, et par conséquent les achats. Mais la force des choses finira par l’emporter sur l’absurdité des hommes. Le système prohibitif succombera sous ses propres excès. Après avoir résisté aux arguments de la science, on cédera aux plaintes des victimes que le système a faites. On a enrichi les uns et appauvri les autres ; on a distribué artificiellement, arbitrairement, les faveurs de la fortune, stimulé la population, égaré les capitaux et imprimé aux salaires les oscillations les plus irrégulières et les plus funestes. Les gouvernements ne peuvent plus fermer les yeux sur ces désordres ; les uns en ont déjà ressenti les tristes conséquences, les autres en sont menacés. Tous sont forcés, par cette opinion générale à laquelle rien ne résiste, de s’occuper sérieusement de leurs relations commerciales. L’Angleterre, la Belgique, la Hollande, l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, ne perdent pas de vue un instant ce point capital de la politique moderne. L’homme d’état qui le négligerait méconnaîtrait les besoins de notre temps, et sa politique ne serait qu’un anachronisme. Notre gouvernement aussi prend en sérieuse considération la situation de notre commerce ; on assure du moins qu’il négocie avec plus d’un état. Quant à l’affaire belge, nous ne connaissons point ses projets : ce qui est certain pour nous, c’est que la Belgique ne peut vivre dans l’isolement où sa révolution l’a placée. Qu’elle traite ou non avec la France, il lui faut un moyen de salut, dût ce moyen lui être suggéré par le désespoir.

N’exagérons rien toutefois. Si les gouvernements ne peuvent pas, ne doivent pas se mettre en opposition avec leur pays et devenir un obstacle au progrès vers lequel se dirigent dans ce moment les efforts communs, ils ne doivent pas non plus seconder le pays dans ce qu’il y aurait de trop étroit et de trop exclusif dans ses tendances et dans ses vues. La mission du gouvernement est plus élevée. Son initiative ne consiste pas uniquement à transcrire mot pour mot les arrêts que l’opinion publique lui dicte. Mieux placé que personne pour observer et pour juger l’ensemble des choses, il doit, tout en la respectant, éclairer l’opinion, l’avertir si elle s’égare, et tempérer par ses conseils et ses directions ce qu’il y a toujours de trop impérieux et d’excessif dans un entraînement général. Se plaindre de l’empire que l’industrie, avec toutes les idées qui s’y rattachent, exerce aujourd’hui dans le monde, serait niaiserie ; mais ce serait pour le gouvernement méconnaître sa mission que de se faire tout à fait peuple en mettant en oubli les intérêts moraux du pays. Il y faut songer d’autant plus, que le public y songe moins ; car c’est l’ensemble de ses intérêts et de ses institutions que la nation confie au gouvernement, et c’est de cet ensemble que l’histoire lui demandera compte, quelles qu’aient été d’ailleurs aux diverses époques les tendances générales du pays. Les faits ont prouvé mille fois que, si les gouvernements se perdent par de folles résistances, ils abaissent et perdent l’état par leur asservissement aveugle à des entraînements exclusifs et par cela même dangereux. Ces mots résument l’histoire de l’Espagne, du Portugal, des républiques italiennes et de tant d’autres pays. Nous désirons que notre gouvernement, tout