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puissent être les gouvernemens et leurs diplomates, les chrétiens de l’Orient auront, je ne sais sous quelle forme, leur jour de délivrance, malgré les cabinets qui arrangeront alors leurs propres affaires pacifiquement ou autrement, comme ils le pourront. N’oublions jamais cette bataille de Navarin dont personne ne voulait, ni ce royaume de Grèce dont au fond on voulait encore moins, et qui existe pourtant, qui existera, et auquel, nous n’hésitons pas à le croire, en dépit de toutes les perfidies, de toutes les intrigues, un brillant avenir est réservé. Laissons les petits esprits, se donnassent-ils le nom d’hommes d’état, mettre en oubli la Providence : que nous importe, puisque leurs efforts sont impuissans, et que le gouvernement des choses de ce monde ne leur appartient pas ?

Au fait, rien ne s’accomplit de ce que les puissans de la terre imaginent ou désirent. Comme ils avaient dans leur haute sagesse arrangé les affaires de la France, de l’Espagne, du Portugal, de la Belgique, de la Suisse ! Que reste-t-il de leurs œuvres ? Rien. Même là où l’édifice ne s’est pas écroulé avec éclat, le terrain n’est pas solide, des réparations incessantes sont nécessaires, les premiers architectes sont obligés d’y mettre eux-mêmes la main, de réformer leur ouvrage, d’y ajouter, d’en ôter, et à la fin on se trouvera avoir autre chose que ce qu’on avait voulu.

Pour en revenir à l’Orient, le gouvernement de cette malheureuse Syrie, qu’on a eu la prétention de délivrer en l’arrachant à Méhémet-Ali, fait toujours le désespoir de la diplomatie à Constantinople. La Porte, quels que soient ses ministres, tergiverse toujours et se moque de l’Europe. Telle est la puissance de la logique. Le sultan dit aux envoyés de la chrétienté : « Vous m’avez rendu la Syrie parce qu’elle était à moi, que j’en étais le souverain légitime, et que la gouverner malgré moi, ainsi que le faisait le pacha, c’était porter atteinte à mon droit, affaiblir mon indépendance. Je vous en remercie ; mais soyez donc conséquens et veuillez ne pas jouer auprès de moi le rôle de Méhémet-Ali, en me dictant la loi, en m’ôtant le libre gouvernement de mes sujets. » Quoi qu’on en dise, l’argument embarrasse même un diplomate : son langage a besoin de s’envelopper ; sa position en est affaiblie. Il ne peut rien exiger, rien imposer de positif et de direct ; il est forcé de recourir aux voies détournées, aux expédiens, et le moindre inconvénient de cette fausse situation, c’est la lenteur d’une négociation compliquée où personne n’est complètement de bonne foi. La France seule aurait pu prendre un rôle plus élevé et plus net. Elle aurait pu dire à la Porte : « Ce qui vient de se passer en Syrie ne me concerne pas ; je n’y ai pris aucune part, je ne l’ai point approuvé. Elle vous a été rendue ; soit. C’est le rétablissement de l’ancien ordre de choses, je le veux bien. Je reprends aussi mes droits, je reviens aux anciennes coutumes. La protection des chrétiens de la Syrie m’appartient ; ils ne tomberont pas sous le sabre d’un gouverneur turc. Si la Porte persiste dans ses prétentions, une flotte française paraîtra sur les côtes de la Syrie. » Que serait-il arrivé si cette flotte se fût présentée ? Que la