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LES ÉTATS DE LA LIGUE.

dance singulière pour la réputation de l’assemblée dont il était appelé à restituer les titres officiels, M. Bernard ait cru devoir se priver des éclaircissemens nombreux que lui fournissaient les historiens contemporains. La lumière n’est jamais à craindre ; c’est au contraire en pénétrant décidément dans une époque, c’est en ne répudiant pas les jugemens empruntés à des sources diverses ou contraires, c’est en ne s’obstinant point à tout voir selon l’optique de son sujet spécial, c’est en acceptant provisoirement tous les points de vue pour se faire à la fin un point de vue impartial et supérieur, que l’histoire se crée des chances sérieuses d’arriver à la vérité. Il faut qu’on le sache, les textes en histoire ne se trouvent pas supprimés parce qu’on les omet, parce qu’on n’en tient pas compte. Ayons la religion des faits accomplis ; Dieu lui-même serait impuissant à changer le passé.

C’est très gravement, le croirait-on, que M. Auguste Bernard parle du caractère sérieux et calme que prirent les hommes et les choses après la convocation des états, c’est-à-dire à mesure que se constitua cette puissance, « qui dominait de toute la hauteur du droit et de la raison les ambitions soulevées par l’espoir d’une couronne. » On s’imaginerait qu’il s’agit au moins de la constituante. Or, il est bon de voir, en revanche, sur quel ton, avec quel mépris unanime cette assemblée, qu’on veut à toute force réhabiliter, a été traitée par tous les historiens sans exception ; ce chœur unanime de réprobation ne s’est pas arrêté depuis deux siècles. Pour Cheverny, la réunion de 1593 n’était que factions et cabales, et pour le sage Sully qu’une bizarre assemblée d’estats imaginaires et de députés malotrus ; d’Aubigné la trouvait méprisable ; le grave De Thou, enfin, la regardait comme inutile, comme impuissante, et il ajoutait que toutes ces hontes ne firent qu’exciter en même temps le rire et l’indignation, ridebant et indignabantur. On le conçoit, l’indulgence intentionnelle de M. Bernard n’était pas compatible avec ces sortes de citations. Mais qu’importe ? Évidemment les écrivains du temps se sont entendus pour nous en imposer, pour calomnier ces pauvres états, et toute la vérité est comprise dans la lettre sèche du procès-verbal. Brûlons donc les faiseurs de mémoires, les rédacteurs de chroniques : il n’y a que les greffiers qui aient le droit d’être crus ! Aussi pouvons-nous dire à Le Grain qu’il ment par la gorge quand il assure que les états « n’apportèrent que de la risée sur le théâtre de la France, que ce fut une farce et comme le dernier acte qui fermait le jeu de la ligue et tirait la courtine. »

Voilà quelques-uns des jugemens contemporains (je pourrais les multiplier bien davantage) que l’éditeur des États de 1593 a cru devoir réfuter par le silence : c’est un procédé plus commode, et que l’usage commence à autoriser. Il est inutile d’ajouter que M. Bernard aurait encore maille à partir, au besoin, avec beaucoup d’autres autorités plus modernes, derrière lesquelles je pourrais me réfugier. Pour ne pas citer ceux qui sont trop en vue, ceux qu’on pourrait taxer de cacher leurs passions derrière la polémique, Voltaire par exemple, pour prendre seulement un nom dans chaque siècle, un nom en dehors des partis, est-ce qu’il n’y a pas sous Louis XIV un jésuite