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ESQUISSES DE MŒURS POLITIQUES.

qui ose avouer qu’il appuie le pouvoir, et les électeurs les plus amis de l’ordre, les plus opposés à toute secousse, repousseraient celui qui se dirait ouvertement ministériel ; c’est la maladie du temps.

M. L……

Si les mœurs du pays repoussent le dévouement servile à un ministère, les ministères, à leur tour, n’acceptent aucune opposition. Votre entourage vous gâte, vous perdez l’habitude de la contradiction, et elle vous irrite ; vous contractez le goût et le besoin du commandement ; vous vivez au milieu d’agens dont le devoir et la vertu consistent à obéir à vos moindres volontés ; vous ne comprenez plus les résistances. Il est si commode de suivre sa pensée sans obstacle ni gêne, et l’on se prend si aisément aux séductions de la puissance. Vous parliez tout à l’heure d’avances, ce serait à vous d’en faire à ceux dont vous estimez le caractère, dont vous prisez le jugement ; mais quand tant de gens se jettent dans vos bras, pour ne pas dire à vos pieds, à quoi bon chercher des conseils qui déplaisent et des critiques qui froissent votre susceptibilité ?

LE MINISTRE.

Mais ces conseils et ces critiques, si vous ne les accordez pas à l’amitié, ne les devez-vous pas à l’intérêt de votre opinion ? Vous parlez de nos susceptibilités, en êtes-vous exempt vous-même, et votre conduite n’en laisse-t-elle percer aucune ? Comment expliquer l’opposition chaque jour plus vive où vous vous placez à notre égard ? Je ne m’en plains pas ; je respecte votre droit et vos convictions, mais je crois me rappeler qu’au moment où le cabinet s’est formé, vous m’aviez permis de compter sur votre appui.

M. L……

Je ne m’en dédis point ; mais les erreurs de votre politique m’ont créé des devoirs nouveaux.

LE MINISTRE.

Et vous la condamnez sans m’avoir jamais admis à la justifier devant vous. Savez-vous les motifs qui nous ont dirigés ? avez-vous le secret de nos mesures ? connaissez-vous les circonstances particulières qui expliquent, qui légitiment peut-être les actes dont vous vous irritez le plus ?

M. L……

La politique d’un cabinet est publique ; la presse la discute et la met en lumière.

LE MINISTRE.

Ainsi, vous formez votre opinion sur celle de la presse, vous, homme grave et sérieux ! mais ne savez-vous pas, aussi bien que moi, ses illusions, ses erreurs, ses écarts ? Vous suivez à votre insu l’impulsion de votre journal.