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JACQUES CALLOT.

soin du héraut d’armes, à son retour, fut d’appeler son fils pour lui tirer les oreilles. — Va, lui dit-il, tu n’es qu’un saltimbanque indigne de porter mon nom et mes armes, indigne surtout de mon titre de héraut. J’avais compté sur toi, mais penses-tu que le grand-duc te confiera son grand livre généalogique quand je serai mort ? Au lieu d’apprendre l’histoire ancienne des noblesses de notre pays, de rendre justice à chacun selon ses armes et ses œuvres, tu ferais à coups de crayon l’historique des joueurs de gobelets ; le plus grand duc pour toi serait le plus grand danseur de corde ; va, je désespère de toi, enfant rebelle ! Avec tes allures vagabondes, tu finiras au milieu des bateleurs.

Là-dessus le vénérable Jean Callot passa solennellement dans son cabinet. Jacques alla cacher ses larmes sur le sein de sa mère ; la bonne femme pleura aussi tout en sermonnant son fils. — Tu vas devenir plus raisonnable, mon cher enfant ; tes larmes sont celles du repentir ; dès demain tu étudieras sans relâche la noble science du blason. Allons, allons, voici la messe qui sonne, ne sois pas comme toujours le dernier à l’église.

Quand Jacques fut habillé des pieds à la tête, il murmura avec un certain sourire d’espérance : — Voilà un habillement qui irait à merveille pour mon voyage d’Italie. Jusque-là il n’avait songé à l’Italie qu’en tremblant ; il commença à s’abandonner à ce rêve avec plus de confiance. Tout en allant à l’église, il promena son imagination dans les montagnes de la Suisse et du Tyrol. Les chants de la messe, le soleil rayonnant sur l’autel à travers des vitraux gothiques, la fumée des encensoirs, l’exaltèrent au plus haut point. L’Italie, l’Italie ! lui criait une voix inconnue. Et toutes les splendeurs de la ville éternelle passaient devant lui comme des fées attrayantes ; les vierges de Raphaël lui souriaient de leur divin sourire, et lui tendaient leurs bras célestes. S’il pensait aux dangers du pèlerinage, il se rassurait au même instant. N’ai-je pas bientôt douze ans ? disait-il en relevant la tête. En effet, qu’avait-il à craindre, cet enfant de douze ans ? Dieu ne le suivrait-il pas pour le protéger ? La messe finie, il demeura encore dans l’église, pour prier Dieu de bénir son voyage et de consoler sa mère ; après quoi il se leva, essuya ses larmes, et prit, sans retourner la tête, la route de Lunéville, croyant de bonne foi que sa bourse légère le conduirait au bout du monde. Il ne faut pas s’abuser, l’amour de l’art était sans doute le motif du voyage ; mais le voyage n’était-il pas pour beaucoup dans la résolution hardie de cet esprit capricieux et vagabond ?