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et vaincus que par un courage et une persévérance indomptables. Rien n’est plus rude que les premières années de la vie des pionniers. Qu’on se représente deux personnes, ayant le plus souvent de jeunes enfans, perdues au milieu des forêts, éloignées des villes, dans une contrée qu’aucune route ne traverse, se procurant avec beaucoup de peine les provisions les plus grossières, manquant souvent dans l’hiver, durant des semaines entières, du plus strict nécessaire et même de pain : tel était, il y a peu d’années, le sort de tous les pionniers au début de leur carrière aventureuse ; c’est encore aujourd’hui celui des familles pauvres ou fort éloignées des habitations. Aussi n’est-il pas surprenant que, trompés par les brillans tableaux des voyageurs, plusieurs émigrans se laissent bientôt rebuter par les difficultés qu’ils rencontrent, et préfèrent même dans la mère patrie une indigence moins laborieuse.

En prenant possession de la partie de la forêt qu’il a acquise, le premier soin de l’émigrant est de se construire une chétive cabane. Une coutume fraternelle, qu’une nécessité commune a consacrée à ces extrêmes limites de la civilisation et du désert, lui procure assistance dans ce premier travail. Sur son appel, ses voisins les moins éloignés accourent l’aider à élever les murs du shanty, misérable hutte où il cherche un premier abri, et qui est au log-house ce que la cabane est à la maison, car il ne faut pas songer d’abord à une demeure commode et spacieuse ; des nécessités plus pressantes font négliger les agrémens de la vie. Le shanty n’est guère qu’un hangar formé de troncs d’arbres bruts dont on remplit les intervalles avec de la mousse et de la boue. Le toit est fait de troncs fendus avec la hache et grossièrement juxtaposés. Le plus souvent le shanty ne reçoit la lumière que par l’ouverture qui sert de porte et de passage à la fumée de l’âtre, formé de quelques pierres plates rangées en cercle. C’est dans ces misérables cabanes que les pionniers, même les plus aisés, passent les premiers temps de leur établissement, et souvent plusieurs années. C’est dans ces huttes, pêle-mêle avec les bestiaux et la volaille qui servent à leur subsistance, que se confinent souvent des familles qui ont joui de toutes les délicatesses de la civilisation la plus avancée. L’espérance et les joies pures de la vie domestique sont leur seul soutien. Au milieu des misères et des souffrances de cette première existence, on voit les femmes anglaises déployer la force d’ame qu’elles ont puisée dans leur première éducation et dans les graves enseignemens d’une religion sévère. « J’ai souvent rencontré, dit M. de Tocqueville, jusque sur les limites