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des villages s’étageant avec harmonie sur les hauteurs boisées, puis une église dont le clocher couronne la montagne prochaine. Tout au fond, juste derrière la montagne, règne un pic isolé et de forme singulière qui vous promet un horizon à perte de vue. « Sur ce pic, que vous voyez là-bas, reprit la vieille, est située Neustadt : nous l’appelons Neustadt sur le Kulm ; c’est là que vivait le grand-père de M. le conseiller, c’est là que mourut son père. »

Laissons nos regards s’arrêter un moment sur ces hauteurs où le digne aïeul de notre poète exerça pendant plus de soixante ans les utiles et modestes fonctions de recteur, et vécut jusqu’à l’âge le plus avancé, en véritable patriarche, édifiant chacun par son exemple. « Tout ce qu’on sait de lui, écrit Jean-Paul, c’est qu’il fut pieux et pauvre à l’extrême. De ses nombreux enfans et petits-enfans, nous ne restons aujourd’hui que deux, et chaque fois qu’il nous arrive à l’un ou à l’autre de monter à Neustadt, les habitans nous accueillent avec toute sorte de témoignages d’affection et de reconnaissance. Il faut entendre les vieillards raconter la vie austère de ce saint homme et sa parfaite érudition ! Quelle sévérité il mettait à instruire ses élèves, et quelle bonté paternelle il avait pour eux ! On montre encore à Neustadt un petit banc derrière l’orgue où il s’agenouillait chaque dimanche, ainsi qu’une espèce de grotte qu’il avait creusée lui-même dans le roc pour y venir passer des journées entières à prier. Le crépuscule du soir était pour lui un automne quotidien pendant lequel, tout en se promenant de long en large dans sa petite classe obscure, il supputait entre deux prières la moisson de la journée et les semailles du lendemain. Son école était une prison, non pas tout-à-fait au pain et à l’eau, mais à la bière et au pain ; joignez à cela la plus parfaite sérénité, la résignation la plus douce, et vous aurez à peu près tout ce que produisait ce rectorat réuni aux places de chantre et d’organiste, car cette part du lion, ces triples fonctions accumulées sur une même tête, ne rapportaient pas plus de 150 gulden (environ 300 francs) par an. Trente-cinq ans le brave homme puisa à cette source de misère commune à tous les magisters de Baireuth, jusqu’à ce qu’à la fin, en l’année 1763, l’année même de ma naissance, il lui arriva, le 6 août, d’obtenir, grace à de hautes et singulières protections, une place des plus importantes pour laquelle il dut se décider à quitter son rectorat, sa ville natale et le Kulmberg ; or, il comptait juste soixante-seize ans quatre mois et huit jours, lorsqu’il obtint la place en question… dans le cimetière de Neustadt. Déjà vingt ans auparavant sa femme l’avait précédé à la