Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/63

Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
LES FEMMES POÈTES.

D’abord le statuaire taille dans un bloc de marbre une figure aussi belle que peut l’être une création de l’art. Ce qu’il est donné de faire au ciseau est accompli. Une statue dont les contours attestent la plus habile des mains et le plus patient des génies, s’élève sur un piédestal. Ce n’est pas assez pour le sculpteur, il veut pour sa statue ce qui n’émane que de Jupiter, la vie elle-même ; et il soupire avec tant d’ardeur, il désire avec tant de force, que le roi de l’Olympe se laisse attendrir. Galatée descend de son piédestal, belle comme une fille de l’art, vivante comme une fille de la terre. Dans un transport ineffable de joie triomphante l’artiste sent se poser sur son front les lèvres qu’il a modelées. Eh bien ! je crois qu’André Chénier vit se renouveler en sa faveur ce touchant miracle des temps antiques. N’est-on point porté à s’imaginer, en examinant ses œuvres, que le ciel permit pour chacune d’elles ce qu’il avait permis une fois pour l’œuvre de Pygmalion ? À la perfection de leurs formes, au poli de leur surface, on sent bien que ce sont des œuvres de marbre, mais c’est un marbre où est descendu le rayon mystérieux de l’existence, c’est un marbre qui vit, qui respire, qui aime et qui fait aimer.

De ces trois maîtres, que le temps et surtout le génie placent à de grandes distances les uns des autres, Fontenelle, Gessner, André Chénier, en est-il un dont Mme Desbordes-Valmore ait su nous rendre la force ou la grace ? Je ne le crois pas. Ses bergères ne sont ni pimpantes et coquettes comme celles d’un roman du temps de la fronde, ni honnêtes et naïves comme celles d’une légende germanique, ni belles et voluptueuses comme celles d’une églogue de l’antiquité. La tradition de l’Astrée était perdue au temps de l’empire, et on ne peut faire à Mme Desbordes-Valmore un reproche sérieux de ne pas l’avoir cherchée. Quant au génie de Gessner et à celui d’André Chénier, il lui était impossible d’y atteindre. Ce qui fit le talent du poète allemand, c’est un calme de cœur, une sérénité d’esprit qu’elle paraît n’avoir possédée jamais ; ce qui éleva le poète français à la prodigieuse hauteur où il s’est placé, c’est, après l’énergie de son ame, une solidité d’instruction qu’en sa qualité de femme elle est bien excusable de n’avoir même pas ambitionnée. Dans une pièce de vers où tous les souvenirs de l’enfance sont évoqués avec un indicible charme, M. Victor Hugo rappelle le temps où il suivait les sentiers de l’école portant avec lui entre quatre ficelles :

Horace et les festins, Virgile et les forêts.

Horace et Virgile ! bon gré mal gré, nous les avons tous eu pour com-