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REVUE. — CHRONIQUE.

ment remplie, de dire ici ce que j’en pense et de la caractériser à mon tour ?

Chaque année, l’Académie distribue les bienfaits d’un homme riche et bon, qui a voulu secourir d’âge en âge, de génération en génération, la vertu malheureuse, ou plutôt le pauvre donnant, au sein même de la misère, l’exemple des plus nobles ou des plus touchantes vertus. Mais cet homme généreux a-t-il voulu seulement tendre une main charitable à la vertu unie à l’infortune, ou M. de Monthyon n’était-il pas trop éclairé lui-même pour se méprendre sur la véritable origine de sa belle action ? N’appartenait-il pas par ses lumières autant que par la beauté de son ame, à la philantropie de cette époque dont il avait partagé les nobles espérances, je dirai même les illusions ?

Pendant long-temps, il faut bien le reconnaître, le christianisme seul, proclamant non l’égalité de condition, mais l’identité de vocation de la race humaine tout entière, avait montré que tous les hommes étaient appelés à la pratique des mêmes vertus, à la même dignité morale, à mériter une autre vie après celle-ci par les mêmes sacrifices, par les mêmes actions. Principe de sociabilité admirable, qui rend celui qui obéit, et qui doit obéir, respectable aux yeux de celui que la Providence appelle à commander ; qui maintient l’égalité avec la hiérarchie, la discipline avec l’indépendance, la liberté avec l’autorité, et répartit entre tous, avec une équité inflexible, abstraction faite du rang et de la fortune, les seuls vrais biens que nous soyons appelés à recueillir, je veux dire, l’estime, la reconnaissance de nos semblables, et les récompenses du ciel.

Ces notions si vraies, si simples, quoique si élevées, sur la nature de l’homme et sa destination sur la terre, étaient sorties de l’Évangile ; les orateurs et les moralistes chrétiens les avaient propagées depuis plusieurs siècles, et elles étaient entrées dans le domaine de la raison humaine, où la philosophie, méconnaissant parfois leur origine, s’était emparée d’elles pour s’en enorgueillir. Elles avaient pénétré dans tous les esprits, dans tous les murs, et devaient changer, sinon la forme des sociétés, du moins la pratique des différens rapports des hommes entre eux ; elles obligeaient les humbles à s’honorer eux-mêmes, les forts à justifier leurs forces. Le lien commun, évident, entre les uns et les autres, c’était l’identité, l’égalité de vocation ; c’était cette vérité révélée pour le chrétien et démontrée pour le philosophe, que tous les hommes étaient appelés à la même beauté morale, à recevoir les mêmes récompenses, quelles que fussent d’ailleurs les circonstances mobiles, prospères ou misérables, qui accompagnent le passage de chacun ici-bas.

L’œuvre de M. de Monthyon porte le caractère de son époque philantropique et libérale, elle a moins pour objet de secourir l’infortune que de faire ressortir ces vertus pratiquées sous le toit du pauvre, et qu’on accusait le passé de n’avoir pas su reconnaître ou découvrir. Ce but a-t-il été atteint ? Je n’hésite pas à l’affirmer. Je n’en voudrais pour preuve irrécusable que la réunion