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entrevit, seulement alors, la possibilité de réaliser un des plus beaux rêves qu’une nation placée comme l’Angleterre puisse faire, le monopole du commerce d’un nouveau monde. Les proportions du traité préliminaire durent donc paraître trop mesquines au gouvernement anglais, et de ce moment M. Elliot put s’attendre à être sacrifié.

Mais les illusions du plénipotentiaire anglais lui-même devaient être bientôt détruites. Le 26 janvier, il avait pris solennellement possession de l’île d’Hong-kong, au nom du gouvernement de sa majesté britannique. Le 29, il organisait l’administration politique et judiciaire du nouvel établissement, et déjà il commençait à douter de la bonne foi de Keschen, il pressentait qu’il avait été trompé. Le commerce devait être ouvert le 3 février, et, dans les derniers jours de janvier, M. Elliot annonçait à ses compatriotes que tout sujet anglais qui jugerait à propos de se rendre à Canton avant la conclusion définitive des arrangemens, le ferait sous sa propre responsabilité et sans être autorisé par lui. D’un autre côté, Keschen protestait contre l’occupation de l’île d’Hong-kong, qu’il n’avait offerte momentanément, disait-il, à M. Elliot, que comme un lieu d’asile et de repos pour les troupes et les équipages des navires anglais ; il déclarait qu’il ne renouerait les négociations avec M. Elliot qu’après l’évacuation de cette île.

À Pékin, la prise des forts de Chuen-pee et de Taï-coc-too, au lieu d’intimider le cabinet impérial, avait excité sa plus vive indignation, et du haut de son trône l’empereur lança de nouveau contre les barbares rebelles ses foudres impuissantes. La tête des chefs et celle des soldats furent une seconde fois mises à des prix très élevés, et l’extermination des Anglais fut proclamée comme une chose sainte et nécessaire.

Le commerce, d’après les termes de l’armistice, devait être ouvert, comme nous venons de le voir, le 3 février, et un traité définitif devait être arrêté le 2 du même mois par les signataires des conventions préliminaires. Keschen avait gagné un délai de six semaines, qui fut, ainsi que je l’ai dit, activement employé à augmenter et à compléter les défenses du Boca-Tigris et celles de l’intérieur de la rivière et de la ville de Canton. Le 20 février, la communication des édits impériaux, les mouvemens de troupes et toutes les dispositions des Chinois apprirent au plénipotentiaire et au commandant des forces anglaises combien peu ils devaient compter sur les protestations de Keschen. La flotte se rapprocha dès-lors du Boca-Tigris, et le 26 février M. Elliot publiait la nouvelle suivante : « Les batteries du Boca-Tigris sont tombées aujourd’hui au pouvoir des forces de sa majesté. Nous avons fait quelques centaines de prisonniers. L’ennemi est en fuite dans toutes les directions, et, jusqu’à présent, aucune perte n’est connue de notre côté. — Le même jour, sir Gordon Bremer annonçait qu’en raison de la prise des forts, les navires de commerce pouvaient se rendre au Boca-Tigris, et qu’il leur serait permis de monter plus haut dès qu’on saurait que la rivière était entièrement libre. Les Chinois se défendirent vaillamment. Kouan, commandant des jonques de guerre, fut au nombre des morts.