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LE DERNIER OBLAT.

vécu ? Peut-être vos instances, vos prières, les miennes, obtiendront-elles ce délai.

— Non, non, ma sœur, répondit la marquise ; je comprends les préoccupations de son esprit : il craint de mourir avant d’avoir assuré l’accomplissement d’une promesse dont notre saint père le pape peut me relever ; il veut qu’Estève soit engagé par des vœux irrévocables avant que mon fils aîné devienne le chef de la famille.

— Il faut se soumettre, dit Mme Godefroi, abattue sous le coup de ces fatales révélations. Maintenant, ma sœur, je n’ai plus de conseils à vous donner ; mais vous trouverez toujours près de moi des consolations, des secours : dans la situation terrible où vous êtes, que puis-je pour vous, que voulez-vous que je fasse ?

— Rien, plus rien, ma chère Adélaïde, répondit la marquise en baissant la tête avec un geste de repentir, de profonde humilité ; je n’ose même plus vous demander votre amitié ; vous avez toujours été une femme sage, une épouse fidèle, et vous devez mépriser, au fond de votre ame, la malheureuse qui a trahi son devoir.

— Cécile, ma chère Cécile, est-il rien au monde qui puisse vous ôter mon affection ? s’écria Mme Godefroi ; ah ! fussiez-vous mille fois plus coupable, fussiez-vous méprisée, repoussée par tous, votre sœur vous resterait et vous aimerait encore.

Elles se jetèrent dans les bras l’une de l’autre en fondant en larmes, comme autrefois à la porte du couvent des bénédictines, lorsqu’elles prononçaient de si tristes adieux ; mais alors une vague espérance était au fond de cette désolation, une résolution énergique pouvait les sauver, et maintenant, à bout de leur avenir, elles pleuraient sur des malheurs à jamais irréparables.

— Ma sœur, dit enfin la marquise en réprimant sa douleur et son attendrissement, soyons calmes ; j’ai peu de temps pour tout ce qui me reste à faire. Et d’abord, c’est à vous que je dois adresser une prière, c’est à vous que je vais demander une promesse. Vous allez emmener cet enfant ; songez, hélas ! que le contact du monde et jusqu’à vos soins pourraient lui être funestes, songez que sa perte et son salut dépendent de sa foi. Adélaïde, la promesse que j’ose exiger vous paraîtra bizarre, elle vous blessera peut-être ; mais pardonnez aux prévisions, aux frayeurs d’une mère. Vous n’avez pas nos croyances, ma sœur, vous raisonnez sur les mystères que nous adorons ; un mot échappé de votre bouche pourrait jeter un doute dans l’ame d’Estève, et la remplir de trouble et de regrets ; un seul regard jeté hors du cloître où il doit passer sa vie pourrait lui laisser