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UNE JOURNÉE À LONDRES.

(la douane), où nos malles ne devaient être visitées que le lendemain, car le dimanche est célébré à Londres aussi scrupuleusement que le sabbat des juifs à Jérusalem.

Jamais je n’oublierai le magnifique spectacle qui s’offrit à mes yeux : les arches gigantesques du pont de Londres traversaient la rivière de leur cinq enjambées colossales, et se détachaient en sombre sur un fond de soleil couchant. Le disque de l’astre, enflammé comme un bouclier rougi dans la fournaise, descendait précisément derrière l’arche du milieu, qui traçait sur son orbe un segment noir d’une hardiesse et d’une vigueur incomparable.

Une longue traînée de feu scintillait en tremblant sur le clapotis des vagues ; des fumées et des brumes violettes baignaient l’espace jusqu’au pont de Southwark, dont on apercevait les arches vaguement ébauchées. À droite, un peu dans l’éloignement, on voyait briller les flammes de bronze doré qui surmontent la colonne gigantesque élevée en mémoire de l’incendie de 1666 ; à gauche jaillissait au-dessus des toits le clocher de Saint-Olave ; des cheminées monumentales, qu’on pourrait prendre pour des colonnes votives si les chapiteaux ioniens ou doriens étaient dans l’usage de vomir de la fumée, brisaient heureusement les lignes de l’horizon, et par leurs tons vigoureux faisaient encore ressortir les tons orange et citron clair du ciel.

En se retournant, l’on avait derrière soi une vraie ville navale, avec des quartiers et des rues de vaisseaux, car c’est à ce pont, le premier de Londres, que s’arrêtent les navires : jusque-là les deux rives de la ville ne communiquent que par des bateaux. Le tunnel, qui se trouve entre Rotherhithe et Wapping, remédiera à cet inconvénient lorsqu’il sera achevé, c’est-à-dire dans deux ou trois mois. La difficulté consistait à pouvoir combiner des rampes de façon à faire descendre les voitures jusqu’à cette profondeur. Elle a été vaincue au moyen de chemins circulaires dont l’inclinaison n’est que de quatre pieds sur cent : ne pouvant faire un pont sous lequel les vaisseaux passeraient, on a pris le parti de faire passer le pont sous les vaisseaux et sous la rivière. Cette idée audacieuse est sortie de la tête d’un Français, M. Brunel ; les deux galeries qui forment le tunnel sont entièrement rondes, cette forme étant celle qui présente le plus de résistance. La portion inférieure du cercle a été comblée pour établir un plan horizontal sur lequel puissent rouler les voitures. Les parois des murs latéraux sont concaves. Celui du milieu est percé de petites arcades qui permettent au piéton d’aller d’une