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DU GÉNIE DES RELIGIONS.

sanctuaires de tous les peuples. C’est là que se cachent les pensées qui gouvernent invisiblement les sociétés. L’homme est toujours à l’image de ses dieux : leurs aventures sont les siennes, ils subissent à la fois pareilles révolutions. On disait hier que les dogmes étaient l’œuvre de la politique : c’est l’inverse qu’on dit aujourd’hui, car les siècles se continuent en se contredisant ; mais le nôtre a cette fois son tour d’avoir raison. Les dieux de l’Olympe ont précédé les législateurs des républiques grecques, le christianisme existait avant les libertés modernes, et le Coran avant le califat.

Deux faits frappent surtout M. Quinet parmi les institutions sociales du monde ancien, les castes et l’esclavage. Les castes sont en effet une des institutions les plus étonnantes. Dans un même état, plusieurs sociétés entièrement distinctes ; à l’une le sacerdoce, à la seconde les armes, à d’autres le commerce, l’industrie, l’agriculture ; l’inégalité la plus choquante éternisée par l’hérédité, immuable comme le destin ; la liberté personnelle renoncée à jamais, et, chez ceux qui souffrent le plus de cet ordre, aucun étonnement, aucun murmure, aucune révolte. Ils se courbent sous leur sort, ils s’interdisent comme un blasphème toute pensée de le changer, ils se croient même exclus du droit à la vertu et à la piété, et se considèrent comme voués de Dieu à l’impureté : cela est étrange assurément. La violence seule est insuffisante pour l’expliquer, car elle n’étouffe pas une secrète protestation ; d’ailleurs partout la caste sacerdotale est au-dessus de celle des guerriers. Au moyen-âge, on vit quelque chose de pareil : clergé, noblesse, bourgeoisie, servage, n’étaient-ce pas, semble-t-il d’abord, les castes de l’Orient ? Mais les classes opprimées faisaient un constant effort pour s’affranchir, et puis elles retrouvaient devant Dieu l’égalité ; dans l’église, tous n’étaient plus que des frères. L’esprit de la religion condamnait ces distinctions, elles n’ont pas pu se maintenir.

C’est dans l’Inde et l’Égypte que les castes ont été instituées avec le plus de puissance. L’Inde mérite surtout d’être remarquée à cause du nombre prodigieux de ses castes et du sort cruel fait à quelques-unes. On trouve aujourd’hui sur la côte du Malabar, dans le pays le plus beau de la terre, où la nature invite à vivre de fête et d’amour, d’innombrables malheureux réduits à l’existence la plus triste. Ils n’habitent jamais dans les villes ni même près des bourgs ou des villages ; ils sont relégués dans les solitudes, loin des autres hommes. L’eau même est souillée de leur ombre et doit être ensuite purifiée par le soleil, la lune ou le souffle du vent. Les aperçoit-on