Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/1033

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1027
LES ANGLAIS DANS LE CABOUL.

milieu des barbares ; ils s’estiment, ils se respectent, et ils seraient amis, si la politique sans pitié ne leur commandait d’être et de paraître ennemis. Ils ne se voyaient pas, mais ils se suivaient et se surveillaient ; Burnes savait tout par les agens qu’il gagnait, et voyait avec anxiété l’influence russe grandir de plus en plus ; son inquiétude éclatait sans restriction, quand il écrivait au gouverneur de l’Inde, et qu’il lui disait :

« J’espère n’être pas présomptueux en exprimant ma conviction très arrêtée que le gouvernement sera obligé d’adopter des mesures beaucoup plus vigoureuses qu’il ne voudrait pour combattre les intrigues de la Russie ou de la Perse. Il y a une classe de politiques qui traitent avec incrédulité tout ce qui touche aux projets de la Russie de ce côté. D’autres en font l’objet d’alarmes immédiates, et par conséquent sans fondement. Depuis cinq ou six ans, toute mon attention a été tournée vers ces pays, et je me donne sans hésiter pour un de ceux qui sont convaincus que la Russie a le dessein d’étendre son influence vers l’Orient et dans les pays entre ses possessions et les vôtres… Comme il y a des faits devant nous, il est impossible de garder plus long-temps le silence sans danger pour notre sûreté. On nous jette le gant. Prévenir vaut mieux que guérir ; c’est une bonne maxime ; nous avons l’une et l’autre tâche sur les bras[1]. »

Le gouvernement de l’Inde fit à cet énergique appel une réponse dont on a peine à comprendre l’indifférence et la froideur. M. Mac-Nachten, le secrétaire-général, écrivit au capitaine Burnes : « Sa seigneurie attache peu d’importance immédiate à cette mission de l’agent russe… S’il n’a pas déjà quitté Caboul, vous conseillerez à l’émir de le congédier avec courtoisie et avec une lettre de remerciemens à l’empereur de Russie, pour la bienveillance qu’il témoigne au commerce de Caboul. Il faut accepter sa mission pour telle qu’on la donne, c’est-à-dire comme purement commerciale, et ne faire aucune attention aux messages dont il a pu prétendre être le porteur… Si l’émir cherche à le retenir et à avoir avec lui quelque relation politique, vous lui ferez comprendre très clairement que vous vous retirerez, et que le fait sera considéré comme un acte de rupture avec le gouvernement britannique. On vous a déjà dit différentes fois que la continuation de nos bons offices envers l’émir dé-

  1. Correspondence, P. 6, no 6.