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LA PHILOSOPHIE DANS SES RAPPORTS AVEC LA SOCIÉTÉ.

litique contre-révolutionnaire, au mépris de tous les droits de l’individu et de la société, et partant, de toutes les facultés de la nature humaine, ne sait leur opposer qu’une règle extérieure, prenant pour l’immuable vérité l’hérédité qui n’est qu’un symbole, ou la volonté d’un homme qui n’est qu’un fait. D’un côté, en principe une liberté illimitée ; de l’autre, un dogme oppressif. Là, point de règle ; ici, point de liberté ; là, négation de la vérité politique ; ici, culte du fait érigé en droit. C’est, pour ainsi parler, l’athéisme d’un côté, et de l’autre l’idolâtrie.

Et comme s’il était dans la nature de toute erreur d’avoir tous les inconvéniens, même ceux de l’erreur qui lui est opposée, le principe de la démocratie absolue qui anéantit toute règle, et par conséquent toute limite de la liberté de l’individu, mène dans la pratique à la tyrannie par l’anarchie : car si la souveraineté réside dans la volonté du grand nombre, dans le fait et non dans le droit, un despotisme brutal est légitimé par avance ; et l’impossibilité d’interpréter et d’avérer cette volonté de tous autrement que par l’entremise des factions ou par la voix de la passion populaire, vient ajouter l’incertitude à la violence, et le mensonge à l’oppression. D’une autre part, si l’hérédité monarchique, au lieu d’être une haute condition d’ordre et de durée, une représentation de la perpétuité nationale, est la souveraineté incarnée et le droit fait homme, lorsque le coup des évènemens atteint cette garantie exclusive, cette seule règle de l’unité sociale, toute barrière s’abat, toute obligation s’évanouit ; la morale politique est suspendue, de l’aveu de ceux-là même qui prêchaient le plus haut la discipline monarchique, et les plus crédules sectateurs de la royauté absolue sont alors les premiers à proclamer la dissolution universelle et la nullité des pouvoirs et des lois. Ainsi qu’il arrive quelquefois que la superstition mène à l’impiété, l’anarchie naît de l’absolutisme.

Les deux grandes opinions qui se sont disputé le sceptre en France depuis quarante ans pourraient donc, si elles n’étaient ramenées à des principes d’éternelle justice, conduire la société par des voies bien diverses au règne absolu de la force. Serait-ce mériter le reproche de subtilité qui s’attache à tout rapprochement forcé, que d’assimiler l’une et l’autre erreur à l’erreur philosophique que nous avons tout à l’heure relevée ? N’est-il pas vrai que, d’un côté, on n’a vu dans l’homme que des facultés, et l’on a méconnu l’existence des vérités politiques, règles de la société, comme les vérités rationnelles sont les règles de l’homme ? N’est-il pas vrai que, de l’autre côté, cher-