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REVUE DES DEUX MONDES.

Au Jaïla de Ghediz.

En quittant Koulah, nous avons suivi pendant la moitié de la journée la coulée d’ancienne lave dont je t’ai déjà parlé, jusqu’aux bords de l’Hermus, cette même rivière qui se jette dans la mer auprès de Smyrne. Elle est là assez voisine de sa source. Notre kief eut lieu aux bains d’eau thermale de l’Émir (Emir-Hamam) ; les eaux ont une température de 50 degrés centigrades. Nos compagnons s’y sont pourtant baignés, mais ils ne s’en sont pas bien trouvés. M. Saul et moi avons prudemment évité de mettre notre peau à pareille épreuve. Tout auprès du petit dôme des bains, on voit sculptées sur un rocher des figures d’une haute antiquité, dans le genre de celles que nous avons remarquées près de Nymphio. — Le reste de la journée fut insignifiant sous le rapport pittoresque, mais nous fîmes une assez belle récolte de plantes. Nous traversions un pays de collines argileuses décharnées, qui me rappelait les tristes environs de Digne dans la haute Provence.

Selendi est un mauvais village, situé sur un petit affluent de droite de l’Hermus. Nous logeâmes dans une maison appartenant à deux jeunes enfans qui avaient perdu récemment leurs parens. On nous dit que l’aga convoitait le bien de ces orphelins, et nous nous étions intéressés à leur sort. Si le village eût été compris dans le territoire de Koulah, nous leur aurions fait rendre justice par notre ami le mutselim ; mais c’eût été toute une négociation diplomatique que d’entreprendre de les recommander aux autorités supérieures de Kutaya, à vingt-cinq lieues de là. D’ailleurs le rôle de défenseur des opprimés est plus scabreux en Turquie que partout ailleurs, et nous y avons renoncé, bien qu’à regret.

La journée suivante fut plus maussade. Nous traversâmes tout le reste du massif qui nous séparait du cours supérieur de l’Hermus ; nous n’avions pour toute perspective que des montagnes parsemées de bois rabougris. La chaleur était très forte. Le kief de midi fut des plus mauvais, nous n’avions pour tout ombrage que des paliures épineux ; mais il y avait en ce lieu un puits qui heureusement contenait encore assez d’eau pour abreuver nous et nos chevaux. Les pauvres bêtes firent un chétif repas. Nos surudjis n’avaient point emporté d’orge, comptant, comme ils le faisaient ordinairement par économie, sur la ressource de ces pâturages vacans qui appartiennent au