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sicale. En fait de lieds, nous ne connaissons guère que ceux de Schubert ou de Dessauer, et c’est tout simple. La musique n’a pas besoin qu’on la traduise ; une belle phrase mélodieuse change de climat impunément et passe d’un pays dans un autre sans rien perdre de sa grace native, de sa fraîcheur, de sa beauté originelle. On peut admirer parfaitement l’Erlkoenig de Schubert ou le Wassermann de Dessauer ; on peut même savoir par cœur ces deux nobles compositions, sans avoir la moindre idée des poèmes qui les ont inspirées. Cependant il ne s’agit point ici de ces refrains vulgaires que des littérateurs spéciaux riment chez nous à l’usage d’une certaine classe de musiciens. Dans une œuvre à laquelle Goethe contribue, il faut absolument que la poésie ait sa part, le maestro fût-il d’ailleurs Schubert ou Beethoven, d’autant plus que c’est un des principaux caractères du lied lyrique de concilier à la fois les intérêts du texte et ceux de la musique, et de se réserver le privilége de déclamer en chantant. Pour en revenir au lied poétique, au lied d’Uhland, de Goethe, de Wilhelm Müller et de Justin Kerner, il me semble que ce genre mériterait d’être connu chez nous. Mais de quelle manière s’y prendre pour l’acclimater sous notre ciel ? Traduire ? Ici la difficulté se présente. Qui osera se charger de cet emploi ? Quels doigts trouverez-vous assez délicats, assez fins, pour toucher sans la briser à cette bulle de savon ? Comment espérer de pouvoir jamais rendre en quelques vers ce sentiment profond contenu dans la forme la plus artistement élaborée, la plus limpide et la plus transparente, comme une essence volatile dans le creux d’un petit diamant ? Quant à la prose, on n’y saurait songer. Il y a même, selon nous, une sorte de sacrilége à manipuler sans scrupule les produits les plus purs de l’intelligence exotique. Rien n’est, à mon sens, plus ridicule et plus déplorable que ces volumes indigestes[1] où s’entassent par milliers, dans le désordre et le contre-sens, tous ces merveilleux petits chefs-d’œuvre qu’il aurait fallu traiter avec tant de ménagement et de goût. Autant vaudrait remuer les diamans à la pelle ou mettre en botte les plus douces fleurs du jardin. Ce qu’il y aurait encore de mieux à faire en pareil cas, ce serait de s’inspirer vaguement de cette poésie et d’en rendre ensuite, selon sa mesure, le souffle et l’expression. Dans un temps où la littérature admet toute réforme, tout rajeunissement venu du dehors, le lecteur ne nous saura point mauvais gré d’avoir

  1. Voir les Ballades et Chants populaires de l’Allemagne, publiés par le libraire Gosselin.