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caractères si bizarres, qu’ils appellent assurément toute l’attention des philosophes.

Tels se montrent les zinkali sous la plume de M. Borrow, tels ils sont dans tous les obscurs asiles de leur vice et de leur vagabondage, en Russie, en Angleterre, en Hongrie, surtout en Espagne. Partout leur plus haute ambition consiste à tromper le public sur le prix et la vigueur des bêtes de somme qu’ils vendent et achètent, ou à voler celles que l’on confie à leurs soins. Boxeurs en Angleterre, forgerons en Allemagne, sorciers en Espagne, toujours errans dans les forêts et stationnant au bord des routes écartées, dans les ravins et les ruines, ils ne veulent ni se grouper en colonies, ni s’astreindre à la résidence et, plus heureux du vol que de l’aumône, ils bivouaquent avec délices sous un ciel chaud et orageux, analogue à celui qui avait encouragé la vagabonde paresse de leurs pères, dans les gorges pelées et rouges de la Sierra-Morena et des Alpujarras. Ils ne servent point de maître, ils ne cultivent pas le sol. La civilisation les révolte comme un esclavage ; toute occupation sédentaire excite leur mépris. Adonnés à la ruse plutôt qu’à la violence, on les voit respecter chez leurs femmes et chez leurs filles un degré supérieur et extraordinaire de fourberie et de duplicité, joint à une chasteté invincible que l’horreur de toute race étrangère fortifie. Effrayés de leur persistance dans les mêmes vices, les Européens, qui, depuis le XVe siècle, les ont regardés comme des démons et des cannibales, n’ont pas cessé de les consulter pour le service secret de leurs passions, de leurs intrigues et de leurs crimes. D’ailleurs poursuivis et traqués par les lois, les romi, les zinkali, les enfans du ciel (chal), comme ils se nomment, restent invinciblement attachés à leurs habitudes nomades, et leur souplesse même est plus inflexible que le patriotisme légal des peuples sédentaires.

Si l’on cherche, ce que M. Borrow n’a pas essayé, à pénétrer et à résoudre le problème de cette persistance immuable, on ne peut en trouver l’explication que dans le génie propre des vieilles institutions hindoustaniques. Il est évident qu’à une époque plus éloignée que M. Borrow ne le suppose, une caste méprisée, peut-être expulsée par les autres castes de l’Inde, a quitté les régions baignées par le Gange, et de campemens en campemens, est arrivée jusqu’aux limites de l’Europe. Accueillie par l’étonnement et l’effroi des nations, condamnée, hors de son pays comme dans son pays, à l’humiliation et à la misère, elle a erré en Perse, en Turquie, en Bohême, en Hon-