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REVUE. — CHRONIQUE.

C’est là l’exacte vérité. Le traité du 15 juillet nous a enfin déterminés à des armemens que nous avions trop négligés, et dont, quoi qu’on en dise, nous devons nous féliciter tous les jours ; nos armemens ont forcé l’Angleterre à augmenter les siens, et cette dépense, venant s’ajouter à celles qu’exigeaient l’expédition de Syrie, la guerre de la Chine, a produit ce déficit que le cabinet anglais cherchait à combler par les mesures qui l’ont renversé.

Lord Palmerston, le véritable auteur de cette politique fantasque et aventureuse, a tristement achevé sa longue et trop longue carrière ministérielle. Il laisse à ses successeurs la guerre avec la Chine, l’empire d’Orient ébranlé, l’alliance de l’Angleterre avec la France brutalement brisée et remplacée par des méfiances et des récriminations fâcheuses, par un retour déplorable de ces vieilles antipathies nationales qui ont fait tant de mal à deux grands pays qui n’ont rien à s’envier, et qui peuvent se respecter sans faiblesse et s’honorer l’un l’autre avec dignité.

Lord Palmerston a eu soin de nous éclairer lui-même sur les passions qui l’agitent, et sur sa ferme résolution de tout sacrifier à ses intérêts d’homme de parti. Qu’on lise son discours à ses électeurs, ces incroyables paroles qu’un ministre de la reine d’Angleterre a osé jeter à la populace qui hurle autour des hustings. Certes, la France et son armée ont le droit de mépriser ces diatribes, et nous ne nous abaisserons pas jusqu’à la réfutation ; mais que penser d’un homme d’état, d’un ministre des affaires étrangères, qui s’exprime de la sorte sur le compte d’une nation qu’il appelle amie et avec laquelle il négocie et se dit à la veille de signer un traité ? Est-ce là une extravagance ou un calcul ? L’un et l’autre. Il a voulu à la fois satisfaire ses passions, ses rancunes, et servir ses intérêts.

Lord Palmerston n’a jamais pardonné au gouvernement français de l’avoir contrarié dans ses projets sur l’Espagne. L’amitié du noble lord est toujours à une condition, c’est qu’on secondera tous les élans de sa fougueuse imagination. Il aime à forcer la main aux cabinets étrangers comme il l’a forcée à ses collègues pour le traité du 15 juillet. Lui résister, c’est un crime ; ne pas le seconder, c’est rompre avec lui. Son ressentiment devint plus amer et plus violent encore lorsque le ministère du 12 mai, au lieu de s’unir étroitement à lui pour régler les affaires d’Orient, préféra, à tort ou à raison, les traiter dans une conférence européenne. Dès ce moment, la France n’a trouvé en lui qu’un ennemi, un ennemi contenu pendant quelque temps par le bon sens et la loyauté de ses collègues, mais un ennemi persévérant, qui est enfin parvenu à surmonter leurs répugnances et à leur faire signer la rupture de l’alliance française. Après le traité du 15 juillet, il s’est encore irrité de l’irritation de la France. Il aurait voulu la voir tout-à-fait passive, désarmée, obséquieuse, abattue. C’est ainsi qu’il l’avait promise à ses complices. La France lui a donné une sorte de démenti. Si elle n’a rien fait, elle s’est émue ; si elle n’a pas eu recours aux armes, elles les a du moins préparées ; si elle n’a pas effrayé l’Europe, elle a donné à penser. L’Europe a compris que la garantie de la paix du monde est à Paris, et que la pensée de toucher aux grandes