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REVUE. — CHRONIQUE.

ces discussions sont pleines d’intérêt ; et le mémoire de M. Émile Saisset est une publication très importante, et qui lui fait le plus grand honneur. C’est un style ferme et clair, une dialectique serrée, une intelligence étendue des questions les plus difficiles.

M. Schwalbé, qui publie un gros volume sur le Parménide de Platon[1], MM. Pierron et Zévort, qui traduisent la Métaphysique d’Aristote[2], n’ont pu avoir, eux aussi, d’autre ambition que celle d’être utiles à l’érudition et à la science. Il leur a fallu compulser bien des manuscrits, remuer bien des in-folios, dévorer des commentaires bien extravagans ; et quand ils nous donnent le fruit de tant d’années de travaux, et d’une connaissance si approfondie de la langue et de la philosophie grecques, qui s’en inquiète en France ? Qui consent à y songer seulement ? Qui ira voir dans M. Schwalbé les cinquante quatre objections d’Aristote contre la théorie des idées de Platon, et les cinquante-quatre réponses de M. Schwalbé, partisan zélé de cette théorie ? Tout cela se passe entre gens du métier, et le public ne daigne pas s’en apercevoir. Ô scholastiques du XIXe siècle, si vous nous aviez fait quelque conte bleu, ou seulement un nouveau système du monde !

Nous n’avions jusqu’à présent dans notre langue que le XIIe livre de la Métaphysique, traduit par M. Cousin ; et ce morceau est assurément un des plus importans de l’ouvrage, car il contient les opinions d’Aristote sur la nature de Dieu et la production du monde. Mais ce livre même n’est que l’esquisse d’un ouvrage plus étendu qu’Aristote devait consacrer à la théodicée, et il est presque impossible de comprendre les doctrines qu’il renferme, si on le sépare des autres livres de la métaphysique qui lui servent à la fois d’introduction et de commentaire. M. Pierron nous a donné les quatorze livres, accompagnés de notes et de discussions scientifiques ; c’est une traduction conçue dans un excellent système, et qui fait honneur à la fois à l’érudition de l’auteur comme helléniste, et à sa connaissance particulière de la langue et des idées d’Aristote. Pour entreprendre et mener à bien une pareille entreprise, il a fallu non-seulement du mérite, mais un grand amour de la philosophie, et un véritable dévouement.

M. Secrétan, de Lausanne, est aussi un de ces esprits sincères ; mais il ne remonte pas si haut dans l’histoire. Il nous a donné une exposition fort claire du système de Leibnitz, à laquelle il a joint ce qu’il appelle l’esquisse d’une théodicée fondée par le principe de la liberté. Il y a quelque modestie de la part de M. Secrétan à exposer ainsi ses idées sur un point capital d’une manière nécessairement incomplète, et à placer l’exposition de ses propres doctrines aussitôt après celle qu’il nous a donnée de la théodicée de Leibnitz. M. Secrétan pense que le Dieu qui a produit le monde, aurait pu ne pas le produire ; qu’il l’a produit par amour pour la créature à venir, et que le bien est devenu le bien par cela seul que Dieu l’a choisi, dans sa liberté absolue.

  1. Brockaus et Avenarius, rue de Richelieu, 60.
  2. Ébrard, éditeur, rue des Mathurins-Saint-Jacques, 24.