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À la plupart des œuvres de ce temps, il manque une chose, le calme ; on voit qu’elles sont nées dans un monde privé de silence et de repos. Souvent leur classification se fait remarquer par quelque exactitude, mais l’ordre intime et vital n’y est pas. On y désire une certaine sobriété silencieuse. Elles crient, remuent, se tourmentent, nous tourmentent, et, après s’être bien démenées, elles nous laissent fatigués comme elles-mêmes. Jamais le silence, le doux silence ne se fait sentir dans ce tumulte de phrases et de couleurs, jamais ce calme d’une satisfaction pleine et entière, si admirablement décrite dans les plus beaux vers de Dante, vers rarement cités :

La lodoletta che in aere si spazia,
Prima cantando, e poi tace contenta
Dell’ ultima dolcezza che la sazia
 ;

« l’alouette qui prend ses ébats dans les airs, chantant d’abord, puis se taisant, toute contente de la suprême douceur qui la rassasie. » Cette suprême douceur, ce silence voluptueux, cet équilibre, ces points de repos, cette suavité après l’orage, qui sont les harmonies de l’art vrai, ne se trouvent pas seulement chez les Virgile et les Racine ; elles appartiennent à tous les génies complets, tels que Dante, Shakespeare, Cervantes et Milton. Quelquefois faibles ou durs, ou même froids, ils ne s’enivrent jamais de leur propre mouvement, ils n’exagèrent jamais leur fureur. Ils sont vrais ; ils restent en harmonie avec eux-mêmes, cherchant le calme après la passion, et balançant dans un accord sublime toutes les créations de leur esprit, toutes les émotions de leur ame.

Examiné d’après la seule règle littéraire qui nous reste, celle qui domine toutes les règles, le critérium de la vérité, l’œuvre nouvelle de Bulwer est loin de satisfaire pleinement la critique. L’intérêt dramatique du roman repose sur la perte d’un papier qui établirait, s’il était connu, la légitimité d’un enfant ; cet intérêt se complique des avantages de la primogéniture ou du droit d’aînesse. Le héros, longtemps jouet du sort, comme le pieux Énée et le mauvais sujet Tom-Jones, finit par échapper à tous les périls et par reconquérir ses titres, ses biens et la considération publique. Ce sujet ne possède en lui-même qu’une vérité relative, anglaise et restreinte, ces mœurs, ces idées ne dépassent pas les limites de la Grande-Bretagne, et nous estimons qu’aujourd’hui toute œuvre puissante doit être européenne. Ensuite, le héros, long-temps attaché par l’amitié et la reconnaissance