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REVUE DES DEUX MONDES.

Celle qui fait pâlir les fronts sous la thiare
Qu’on méprise tout haut et que l’on craint tout bas,
Celle que Hans Holbein a peinte en botaniste,
Arrosant dès le jour ses tulipes en fleurs,
Et dont le vieux Dürer a fait plus tard ailleurs
Un morne cavalier qu’un chien suit à la piste.

Eh bien ! répond Rosemonde, pouvez-vous me conduire vers lui ? — Je le peux. — Laissez-moi dire ma prière, embrasser ma vieille mère et ma petite sœur endormie, et nous partirons ensemble. — Dépêche-toi, dit la mort ; j’entends déjà hennir les chevaux du matin. L’endroit où repose Valentin est loin d’ici ; nous n’arriverons pas. — Descends donc. — Me voici, dit Rosemonde en livrant sa main blanche et fluette à la noueuse étreinte du spectre.

Cette légende est arrangée avec beaucoup d’adresse et un fin sentiment de la narration. Mille petits détails jetés incidemment dans le cours du récit éveillent et inquiètent l’attention du lecteur ; le missel s’ouvre à un endroit funèbre, la lampe grésille, les fleurs répandent des parfums énervans et délétères, le chant du rossignol ressemble au sanglot ; tout prépare l’esprit à une triste catastrophe. — Quelques négligences et quelques afféteries de style déparent çà et là cette charmante nouvelle, mais la narration permet plus de laisser aller que l’ode ou le discours.

Ce n’est plus le mois de mai, et cependant tous les poètes sont en fleurs. Parmi les nombreux volumes qui viennent de paraître, nous devons citer encore le recueil des frères Deschamps, les Sentiers perdus de M. Arsène Houssaye, et les Heures de Poésie de M. A. Renée. M. Brizeux, l’auteur de Marie, fait aussi imprimer un recueil sous le titre de Morgana. — Vous voyez bien que la poésie n’est pas tout-à-fait morte comme le prétend la critique, qui a ses raisons pour cela.


T. Gautier.