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veille de la séance ; et, cependant, malgré cet avis, l’imprévu annoncé a été accueilli comme une de ces visites que l’on n’attend point. En effet, on avait rêvé toutes les charmantes distractions de la pensée, toutes les vives jouissances de l’imagination, et l’on avait à subir de longs discours de tribune ; il n’était pas possible de se tenir pour satisfait.

Gardons-nous, pourtant, d’en trop vouloir à M. Victor Hugo. Peut-être cette substitution de la politique à la littérature était-elle à peu près inévitable, et aurait-elle pu même, avec un peu plus de réflexion, être facilement prévue. Et d’abord, pour que cette passe d’armes littéraire si regrettée offrît l’intérêt puissant et dramatique qu’on s’en promettait, une condition expresse, et à laquelle on n’avait pas songé, était indispensable. Il aurait fallu que le hasard, qui désigne dans ces solennités l’organe de l’Académie, eût opposé au chef de l’école moderne un champion exclusivement dévoué aux principes de conservation et n’ayant donné que peu ou point de gages aux nouveaux systèmes. Or, un conservateur de cette nuance tranchée et sans mélange est aujourd’hui fort difficile à rencontrer, même parmi les membres de l’Académie française. M. de Salvandy, appelé à prendre la parole au nom de ses confrères, n’était pas précisément (et cette remarque est loin d’être un reproche) l’homme de ce rôle austère, de ce rôle de littérateur jacobite dont le regard et l’ame sont tournés vers le passé, et qui ne tient pour française que la langue des écrivains du siècle de Louis XIV. M. de Salvandy, auteur chaleureux, historien et romancier brillant et coloré, dont plusieurs pages heureuses ont eu l’honneur insigne de rappeler le grand restaurateur de la prose au XIXe siècle, M. de Salvandy, soit par ses antécédens d’écrivain, soit par ses opinions peu prononcées de critique, ne se trouvait pas dans des conditions d’orthodoxie suffisantes pour pouvoir, dans le champ clos d’une discussion spéciale, opposer aux témérités de Cromwell et de Ruy Blas la bannière de la pure tradition classique.

Devant cette situation, que le hasard avait faite, M. Victor Hugo paraît avoir été induit à penser que ce serait de sa part un acte de bon goût, et tout à la fois d’habileté, que de s’abstenir de porter la controverse académique sur la question de principes, question fort délicate pour tout le monde, et plus encore pour le nouvel académicien que pour tout autre, puisqu’elle lui est toute personnelle. M. Hugo, qui a eu si fréquemment, d’ailleurs, occasion d’agiter des théories et de s’expliquer sur presque toutes les questions fonda-