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sur les articles de foi, et elle était divisée dans son propre sein par les tolérans et les intolérans. « Les tolérans, dit Bossuet, se soutiennent par les maximes constantes de la réforme ; les intolérans l’autorisent par des faits qui ne sont pas moins incontestables : chaque parti l’emporte à son tour. La réforme a fait tout le contraire de ce qu’elle s’était proposé : elle se vantait de persuader les hommes par l’évidence de la vérité et de la parole de Dieu, sans aucun mélange d’autorité humaine ; c’était là sa maxime, mais dans le fait elle n’a pu s’établir ni se soutenir sans cette autorité qu’elle venait détruire, et l’autorité ecclésiastique ayant chez elle de trop débiles fondemens, elle a senti qu’elle ne pouvait se fixer que par l’autorité des princes, en sorte que la religion, comme un ouvrage purement humain, n’ait plus de force que par eux, et qu’à vrai dire elle ne soit plus qu’une politique. Ainsi, la réforme n’a point de principes, et par sa propre constitution elle est livrée à une éternelle instabilité[1]. » Bossuet triomphait au point de vue de l’orthodoxie, mais toute l’éloquence de sa polémique était impuissante à arrêter les mouvemens de l’esprit humain. Toutes ces sectes dont il se plaignait opéraient une décomposition nécessaire dans les opinions et les sentimens de la chrétienté. C’est surtout en Angleterre que s’accomplit ce travail ; la multiplicité des sectes que Bossuet compare aux vagues de la mer, y inspira à beaucoup d’esprits la pensée d’offrir à tant de dissidens quelques points fondamentaux sur lesquels il suffirait de tomber d’accord pour se trouver chrétien ; c’est dans ce dessein que Locke écrivit le Christianisme Raisonnable. Voici l’idée et le but de ce livre qui devint rapidement populaire. — Avant sa chute, Adam habitait le paradis terrestre où était l’arbre de vie ; il en fut chassé pour avoir désobéi à Dieu, et il perdit le privilége de l’immortalité. En effet, dès ce moment avec le péché la mort entra dans le monde ; voilà pourquoi tous les hommes meurent en Adam ; voilà pourquoi, depuis la chute du premier homme, le genre humain ne se perpétue plus que pour mourir. Qu’a fait Jésus ? Il a apporté aux hommes une loi dont l’observation leur rend l’immortalité non pas sur la terre, mais après cette vie. Il faut donc croire que Jésus, fils de Marie, est le Messie ; il faut entretenir dans son ame un grand désir de connaître ce qu’il a enseigné, et de pratiquer ses commandemens. À ces conditions, on est chrétien ; quant aux dogmes de la consubstantialité du fils avec le père, de la divinité du Christ et de la Trinité, ceux qui les trouvent dans les Écri-

  1. Sixième avertissement sur les lettres de M. Jurieu, chap. 104.