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REVUE DES DEUX MONDES.

L’écume à coups pressés jaillira sous la rame ;
La fumée en courant lèchera ton ciel bleu.
Le chant des passagers, que ton doux roulis berce,
Des sept langues d’Europe étourdira tes flots,
Les uns tendant leurs mains avides de commerce,
Les autres allant voir, aux monts où Dieu te verse,
Dans quel nid le fleuve est éclos.



Roule libre et béni ! Ce Dieu qui fond la voûte
Où la main d’un enfant pourrait te contenir,
Ne grossit pas ainsi ta merveilleuse goutte
Pour diviser ses fils, mais pour les réunir !



Pourquoi nous disputer la montagne ou la plaine ?
Notre tente est légère, un vent va l’enlever ;
La table où nous rompons le pain est encor pleine,
Que la mort, par nos noms, nous dit de nous lever !
Quand le sillon finit, le soc le multiplie ;
Aucun œil du soleil ne tarit les rayons ;
Sous le flot des épis la terre inculte plie ;
Le linceul, pour couvrir la race ensevelie,
Manque-t-il donc aux nations ?



Roule libre et splendide à travers nos ruines,
Fleuve d’Arminius, du Gaulois, du Germain !
Charlemagne et César, campés sur tes collines,
T’ont bu sans t’épuiser dans le creux de leur main !



Et pourquoi nous haïr, et mettre entre les races
Ces bornes ou ces eaux qu’abhorre l’œil de Dieu ?
De frontières au ciel voyons-nous quelques traces ?
Sa voûte a-t-elle un mur, une borne, un milieu ?
Nations, mot pompeux pour dire barbarie,
L’amour s’arrête-t-il où s’arrêtent vos pas ?
Déchirez ces drapeaux ; une autre voix vous crie :