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émancipés étant très faible[1], la terreur les saisit, et ils s’enfuirent Mais où allèrent-ils se réfugier ? Dans les états à esclaves pour y demander asile, protection et travail. Ainsi, les nègres que la démocratie affranchit dans le Nord sont refoulés par sa tyrannie et son orgueil dans les états du Sud, et ne trouvent d’asile qu’au sein de l’esclavage. Ce précédent a singulièrement calmé l’exaltation des abolitionistes de l’anti-slavery society (société contre l’esclavage). Les philantropes honnêtes et religieux dont cette société se compose, avaient jusqu’alors attaqué avec un zèle infatigable les préjugés qui séparent les nègres des blancs, et avaient même essayé de mélanger les races par des mariages[2] ; mais, arrêtés par les conséquences graves de leurs prédications, ils se bornent aujourd’hui à encourager l’exportation des nègres en Afrique. Cette mesure serait la plus sage si elle était praticable, et surtout si elle était compatible avec la conservation de nos colonies. Ainsi, partout où on a essayé de l’émancipation, le résultat a été : cessation de travail et ruine des colons, ou perturbation et désordre social.

J’en étais là, lorsqu’un journal où se trouve le récit d’un procès qui vient d’être jugé à la Martinique me tomba sous la main. Cette relation est accompagnée d’accusations amères contre les colons, et de conclusions en faveur de l’émancipation. Il s’agit d’une négresse qui, après avoir été la concubine de son maître, empoisonne par jalousie le bétail de celui-ci. Le maître impitoyable la jette dans un cachot et la condamne au supplice de la faim. Puis, accusé devant le tribunal, il est absous. Rien de plus révoltant ; mais qu’y a-t-il ici de plus odieux, du crime ou du jugement ? Sans contredit, le jugement. L’action d’une maîtresse qui empoisonne son amant par jalousie et celle d’un homme qui fait périr sa maîtresse par vengeance sont des crimes horribles, mais des crimes commis sous l’influence des passions ; on en voit de semblables parmi les blancs. Ce n’est ni un argument de plus ni une preuve de moins pour ou contre l’esclavage. Quant au jugement, il est inique, car il est le résultat de mau-

  1. Il n’existe dans l’état de New-York que 44,870 personnes de couleur sur 1,113,000 blancs, et dans la ville de ce nom 13,000 personnes de couleur sur 200,000 blancs.
  2. De tous les essais des abolitionistes pour rapprocher les deux races, celui des mariages a le plus irrité l’orgueil des Américains, comme tendant davantage à l’égalité. Un révérend docteur ayant le premier célébré, à Utica, le mariage d’un nègre avec une jeune fille de couleur blanche, il y eut dans la ville un soulèvement.