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rans de la Chine, les Tartares-Mantchoux, ont traduit les principaux ouvrages chinois, se donnant ainsi une littérature toute faite, comme ils se sont emparés du système administratif sans y rien changer, et se contentant, pour ainsi dire, de le traduire à leur profit. Mais, sans sortir de l’Orient, que d’exemples de traductions qui ont joué un rôle important dans diverses littératures riches en productions indigènes ! Les Persans avaient traduit, il y a plusieurs siècles, les deux grandes épopées indiennes, que nulle langue de l’Europe n’a encore reproduites dans leur intégrité. Les contes arabes, dont quelques-uns, sous le nom des Mille et une Nuits, sont devenus si populaires en Europe, ces contes contiennent un grand nombre de récits originaires de la Perse ou de l’Inde, qui n’ont point passé en Arabie dans une version écrite, mais dans une traduction arabe improvisée sans dictionnaire, sous un palmier, au bord d’une fontaine, par un marchand ou un pèlerin. Les translations arabes des auteurs grecs, et principalement d’Aristote, sont célèbres ; et bien qu’on ait exagéré leur influence sur la scholastique dans l’Occident, où l’on n’a jamais perdu les ouvrages didactiques d’Aristote, cette influence a été grande, surtout par l’intermédiaire du péripatéticien Averroës, dont le matérialisme eut, parmi les chrétiens du moyen-âge, une vogue qui alarmait Pétrarque.

Les Grecs ont très peu traduit ; ils dédaignaient trop le génie des peuples barbares pour descendre à interpréter leurs pensées, ou même, sauf quelques exceptions, à conserver leur histoire.

Les Romains étaient ainsi pour le reste du monde, mais ils traduisirent les Grecs. On sait que leur poésie fut, à son premier âge, calquée sur la poésie grecque, et qu’elle l’imita toujours ; malgré leur mépris pour tout ce qui n’était pas romain, ils daignèrent parfois faire passer dans leur langue des ouvrages barbares ; l’empereur Claude avait traduit les annales étrusques. Des exceptions de ce genre durent avoir lieu surtout pour des ouvrages d’une utilité pratique. C’est ainsi qu’après la prise de Carthage, Scipion ayant sauvé de l’incendie et apporté à Rome le livre de Magon sur l’agriculture, le sénat ordonna, par un édit solennel, de traduire en latin ce traité, qui paraît avoir contenu les traditions de l’ancienne agriculture babylonienne.

L’histoire de la traduction chez les modernes ne serait pas si tôt épuisée ; il faudrait remarquer surtout quel rôle important diverses traductions célèbres ont joué dans les vicissitudes des langues. On sait que la prose allemande date de la bible de Luther ; Amyot compte dans l’histoire de la nôtre.

On ne l’avait pas attendu cependant pour traduire les anciens et