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couleur, depuis l’incarnat vif du milieu de la joue jusqu’aux parties plus pâles du visage, encore moins employer diverses espèces de rouge, selon le teint de la personne qui s’en sert. Je n’ai pas encore eu l’honneur d’assister à la toilette d’une dame pour y recueillir les observations nécessaires à votre instruction, mais je suppose que le procédé suivant doit être excellent pour atteindre le but que vous désirez toucher : faites dans un morceau de papier un trou rond de trois pouces de diamètre, placez ce papier troué sur votre joue, de manière à ce que l’extrémité supérieure se trouve précisément au-dessous de l’œil, ensuite, au moyen d’un pinceau trempé dans le plus beau vermillon, barbouillez tout, le trou et le papier. Quand vous enlèverez le papier, vous verrez qu’il vous restera sur la figure une espèce de tache ronde et rouge, très hideuse, mais parfaitement à la mode, et qui vous donnera l’œil hagard. C’est ainsi que paraissent les actrices, les beautés, toutes les femmes, en un mot qui ont la moindre prétention à l’élégance et à la grâce. Je ne connais que la reine qui s’obstine à résister à cette coutume. »

Il n’y a point de perte plus regrettable quant à l’étude du caractère de Franklin que la perte de son journal, dont il ne reste que quelques fragmens relatifs à l’année 1784 et à son séjour à Paris. Dans sa correspondance familière, sa prudence et son habileté livrent rarement ses secrets. Il sait la valeur d’une parole. Il ne raconte pas tout ce qu’il a appris, il ne révèle pas tout ce qu’il pense. Contenu dans son épanchement comme dans ses passions, il pratique la discrétion, même dans l’amitié. Le peu de pages qui nous restent de son journal renferment au contraire des révélations fort précieuses, et l’on voit déjà se grouper autour de lui, dans la solitude du sage, les aigles et les vautours que la lutte prochaine attire, les tigres et les lions de la révolution française, Chamfort, Mirabeau, et, qui le croirait ? Marat. L’histoire doit vivement regretter ce document inappréciable qui eût mieux valu que trois volumes de lettres domestiques et familières, et qui nous eût fait assister à l’élaboration secrète et préparatoire de notre révolution. « J’ai reçu ce matin, 13 juillet, dit-il dans ce journal, la visite de MM. de Mirabeau et Chamfort, qui m’ont lu leur traduction du pamphlet américain de M. Ædanus Burke, de la Caroline du Sud, contre l’ordre ou la société de Cincinnatus. Ces messieurs ont fort développé l’original, qu’ils ont changé en une satire contre la noblesse elle-même. L’ouvrage est bien écrit. Ils disent que le général Washington et le marquis de La Fayette auraient dû refuser l’affiliation à cette société, que quelques personnes