Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/685

Cette page a été validée par deux contributeurs.
681
FRANKLIN.

occasion sans en céder un seul et sans négliger aucun moyen de les rendre chers et appréciables à nos concitoyens. Nous devons cultiver surtout et entretenir avec soin la bonne harmonie intérieure de nos provinces, afin que l’Europe nous compte et que nous ayons du poids relativement à ses affaires. En menant cette conduite, je ne doute pas que dans peu d’années nous n’ayons acquis définitivement tout ce que nous pouvons désirer en fait d’indépendance et de pouvoir. »

Cette direction donnée par Franklin aux affaires de son pays fut le plus éminent service que l’on pût alors lui rendre, et Franklin en a sinon tout l’honneur, du moins la gloire principale. Il désarmait ainsi la jalousie des puissances étrangères, donnait à l’Amérique un renom utile d’équité et d’amour de la paix, et rejetait tous les torts du côté de la métropole. Parfaitement instruit du progrès continu et de l’accroissement de population de l’Amérique septentrionale, il voulait attendre que ce progrès eût acquis un développement capable de soutenir la lutte et d’obtenir la victoire. Dans toute cette affaire, la ruse du serpent était plus utile que la force du lion, et la première de ces qualités distinguait Franklin d’une manière éminente. Il y avait du Talleyrand bourgeois chez celui que l’Europe considérait comme un nouveau Spartacus.

Jusqu’en 1777, toute une vie de préparation et d’observation attentive, antérieure à l’insurrection définitive des États-Unis, est trop bien décrite et analysée dans l’autobiographie de Franklin, pour que nous la gâtions en la répétant. Malheureusement ces confessions charmantes s’arrêtent au moment où la révolte va éclater. C’est de ce moment que date la curiosité la plus piquante des nombreux documens recueillis par M. Sparks.

Franklin, qui n’avait jamais aimé la France, fut chargé de négocier avec elle. Il suffit, pour se faire une idée de ses sentimens à notre égard, de lire cette jolie chanson de Franklin, écrite en 1761, et que M. Jared Sparks a publiée pour la première fois. On y voit combien ce philosophe, que la France devait adopter avec enthousiasme, était réellement anglais, et ce qu’il pensait de ses voisins les Français du Canada. La chanson est curieuse à plus d’un titre. Le refrain et le rhythme sont puritains et empruntés à une chanson du temps de Cromwell[1].

  1. THE MOTHER-COUNTRY, A SONG.

    We have an old mother, that peevish is grown.
    She snubs us like children that can scarce walk alone, etc.