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de cette nature une grande partie de sa puissance. Affamer ses inférieurs au lieu de les nourrir, c’est un rôle qui n’est pas de notre siècle.

Mais plus le mal est grand, plus le remède est difficile, périlleux Ces questions en Angleterre, pays de grands propriétaires, d’aristocratie, d’église établie, d’une nombreuse population agricole, d’une population manufacturière plus nombreuse encore, touchent maintenant aux entrailles même de la société. Dans un pays moins sensé, moins attaché à ses lois, à ses traditions, à ses us et coutumes, moins habitué à se contenir, à patienter, à se contenter en toute chose d’une honnête transaction, il n’y aurait au bout de ces questions rien moins qu’une révolution. Est-ce à dire que même en Angleterre il fallait jeter ces terribles questions dans l’arène politique, sans préparation, sans ménagement, en attisant les passions de la multitude par des propositions extrêmes, et cela lorsque le gouvernement, faible, chancelant, serait hors d’état d’éteindre l’incendie qu’il aurait allumé ? Ce n’est pas là gouverner ; c’est jouer, jouer sa dernière carte, en hommes désespérés. C’est prendre tristement congé des affaires que de se préparer un moyen d’opposition qui peut compromettre profondément l’avenir du pays.

C’est probablement aujourd’hui qu’on apprendra l’issue du débat sur les sucres et les bois de construction. On dit que, si la majorité contraire au cabinet dépasse vingt voix, il se retirera sans tenter la dissolution. Il paraît avoir déclaré à la reine qu’il serait imprudent, dans ce cas, de pousser les choses plus loin ; qu’il valait mieux subir les tories, leur faire naître toutes sortes de difficultés et d’embarras, et attendre. Si la majorité contraire était plus faible, il aborderait alors, au 31 mai, la question des céréales. Nous ne voulons pas faire ici des conjectures sur un fait qui probablement sera résolu au moment où nous livrerons ces lignes à l’impression. Attendons.

Ces vicissitudes ministérielles doivent sans doute retarder la conclusion de tout traité sur les affaires d’Orient. Pourquoi signer avant de savoir à qui l’on aura affaire demain, quels seront les principes et les vues de la nouvelle administration, si réellement un nouveau cabinet parvient à se former ? Certes, nous sommes loin d’être fâchés de ce retard ; nous nous en félicitons au contraire, et nous en félicitons le ministère.

En attendant, il est plus que jamais démontré que le traité du 15 juillet et l’expédition qui en a été la suite, ont porté un coup funeste à cet empire ottoman qu’on avait la prétention de sauver et de consolider. Le canon de Saint-Jean-d’Acre a ébranlé le vieil édifice, réveillé tous les opprimés, et fait naître des espérances et des tentatives dont il est difficile jusqu’ici de prévoir les conséquences. Les troubles de l’île de Candie ne sont pas apaisés ; la Syrie est toujours mécontente, inquiète, agitée ; les populations chrétiennes de la Bulgarie lèvent la tête et osent regarder en face leurs oppresseurs. Il est possible que ces mouvemens soient réprimés ; il est possible qu’une pensée politique ne vienne pas animer, organiser, diriger les révoltes qu’a fait naître l’administration brutale et stupide des agens de la Porte. C’est là l’espérance des amis du statu quo à tout prix. Nous ne sommes pas de cette école. Nous