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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

magnifiques manuscrits. La plupart de ces ouvrages étaient conservés dans le trésor du souverain par les garde-joyaulx, avec les perles et les diamans de la couronne.

Mais à côté de cette librairie des princes et des grands seigneurs il y avait la librairie des bourgeois et des pauvres : il y avait les livres d’heures que l’honnête père de famille portait à sa ceinture, enfermés dans un sachet, et transmettait religieusement à ses enfans. Il y avait les livres d’images, recommandés par les autorités ecclésiastiques[1] et destinés à ceux qui, ne sachant pas lire, pouvaient apprendre, à l’aide de quelques explications verbales et d’une série d’emblèmes grossiers, l’histoire de la Bible, la vie et la passion de Jésus-Christ, et quelquefois les leçons de morale du catholicisme. Tel était, entre autres, un petit livre très répandu au moyen-âge, composé de onze images représentant le diable qui tâchait de séduire l’ame du mourant par l’avarice, par l’orgueil, par la luxure, ou de l’entraîner dans le désespoir, tandis que d’un autre côté les anges s’efforçaient de l’arracher à la tentation.

Après cet examen, malheureusement trop court, de la librairie du XVe siècle, M. Sotzmann en vient à Guttemberg. Il raconte le peu qu’on sait sur la vie de cet homme dont le nom est aujourd’hui connu du monde entier. Guttemberg descendait d’une famille patricienne de Mayence ; il quitte sa ville natale, comme Dante, au milieu des dissensions qui tout à coup la bouleversent, et vient se fixer à Strasbourg. Il a le goût des arts mécaniques, et tâche de fonder une société industrielle pour polir la pierre et fabriquer des miroirs. Il est entreprenant, mais pauvre, obligé de chercher des associés, des répondans, un capital, pour pouvoir tenter la plus mince entreprise. Il a un procès pour une valeur de 15 florins, et toutes ses tentatives de commerce, d’industrie, sont soumises à l’influence des évènemens. Ses travaux, à peine commencés, sont interrompus par le pèlerinage d’Aix-la-Chapelle, qui se faisait régulièrement tous les sept ans. On gardait dans la cathédrale de cette ville les langes du Sauveur, le drap dont son corps avait été revêtu sur la croix, la robe de la Vierge et le vêtement que portait saint Jean-Baptiste lorsqu’il eut la tête tranchée. Or, je laisse à penser quel sentiment de piété s’éveillait dans le cœur des fidèles en entendant parler de ces précieuses reliques, et avec quelle ferveur on allait les visiter. En 1496, on compta à Aix-la-Chapelle cent quarante-deux mille pèlerins. Chaque bourgeois de la ville se serait cru déshonoré s’il n’avait eu, dans cette circonstance solennelle, plusieurs étrangers sous son toit. Les travaux de Guttemberg furent donc suspendus à l’époque de cette grande procession des populations de l’Alsace et des rives du Rhin vers la merveilleuse église d’Aix-la-Chapelle.

Puis une dizaine d’années se passent pendant lesquelles on n’a presque

  1. Doceant episcopi per historias mysteriorum nostræ redemtionis, picturis vel aliis similitudinibus expressis, erudiri et confirmari, populum, in articulis fidei commemorandis et animo recolendis.