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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

fille qui voulait me baiser la main comme à un vieux capucin. Moi je n’ai pas voulu le lui permettre ; alors son père et sa mère lui ont ordonné de me donner un baiser sur les lèvres, et m’ont assuré qu’elle lisait avec bonheur mes œuvres complètes. Je me suis vraiment bien amusé. Puis on m’a volé ma montre ; mais cela me fait plaisir ; c’est bien ; cela me donne de l’espoir. Nous avons donc aussi des fripons parmi nous. C’est une bonne chose. Nous n’en réussirons que mieux. Ce maudit garnement de Montesquieu ne nous avait-il pas persuadé que la vertu doit être le principe des républicains ? J’étais inquiet, je voulais que notre parti fût tout entier composé d’honnêtes gens, et de la sorte, nous ne serions arrivés à rien. Il faut que nous ayons, comme nos vieux ennemis, des fripons parmi nous. Je voudrais découvrir le patriote qui m’a soustrait ma montre à Hambach ; dès que nous aurons le pouvoir entre les mains, je lui confierais la police et la diplomatie. Mais je le trouverai bien, le voleur. Je ferai annoncer dans le Correspondant de Hambourg que je promets une récompense de 100 louis à l’honnête homme qui a trouvé ma montre. C’est du reste une montre précieuse comme curiosité. C’est la première qui a été volée par la liberté allemande. Oui, nous nous éveillons aussi, nous fils de la Germanie, du sommeil de notre honneur. Tremblez, tyrans, nous volons aussi. »

Heine reprend la parole, et cette fois ce n’est plus pour répondre aux projets, aux sarcasmes, aux récits douloureux ou exaltés de l’écrivain démagogique ; c’est pour le juger, lui et ses principaux partisans :

« Le premier représentant, dit-il, du mouvement révolutionnaire de l’Allemagne à Paris, le plus important, était Boerne, et il le fut jusque dans les dernières années de sa vie, et lorsque, après la défaite des républicains, les deux agitateurs les plus actifs, Garnier et Wolfrum, se retirèrent du champ de bataille. Le premier était un homme d’une étonnante activité, et, il faut lui rendre justice, il possédait à un haut degré tous les talens démagogiques : beaucoup d’esprit, de connaissances, et une grande éloquence. Mais c’était un intrigant. Dans le tumulte d’une révolution allemande, Garnier aurait certainement joué un rôle ; l’entreprise échoua, et il s’en trouva mal. On dit qu’il fut obligé de quitter Paris où son hôte en voulait à sa vie et le menaçait non pas d’empoisonner ses alimens, mais de ne plus lui rien donner à manger que contre argent comptant. Le second de ces agitateurs, Wolfrum, était un jeune homme de la Bavière, de Hof, si je ne me trompe, qui, après avoir été employé dans une maison de commerce, abandonna sa place pour se dévouer aux idées de liberté qui éclataient alors et qui s’étaient emparées de lui. C’était une honnête et généreuse nature, animée d’un pur enthousiasme, et je me crois d’autant plus obligé d’exprimer cette opinion, que sa mémoire n’a pas encore été entièrement lavée d’une indigne calomnie. Lorsqu’il fut banni de Paris et que le général Lafayette adressa à ce sujet une interpellation à M. le comte d’Argout, alors ministre de l’intérieur, M. d’Argout soutint que le banni était un agent des jésuites de Bavière, et qu’on en avait