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tout ce qui est purement alsacien, est d’un couple de siècles en arrière de l’Allemagne et de la France…

« L’Alsace, par sa situation entre la France et l’Allemagne, semble, au premier abord, être appelée à servir d’intermédiaire entre les deux pays, à prendre une égale part aux progrès de l’un et de l’autre. Le contraire est arrivé, par suite de sa position politique. »

Un peu plus loin, M. Venedey ajoute : « La conquête de l’Alsace par la France a toujours été et est encore aujourd’hui un malheur pour cette province. Le mutisme moral de la masse du peuple n’est qu’une partie de ce malheur. »

Par quel étrange système M. Venedey a-t-il pu laisser tomber de sa plume ces lignes injurieuses pour une province qu’il a vue lui-même et qu’il ne juge point par ouï-dire ? L’Alsace passe à juste titre pour une des parties les plus intelligentes, les plus vivaces de la France. Nulle part l’instruction n’a pénétré si avant dans le cœur même du peuple, nulle part les écoles ne sont plus nombreuses et mieux tenues, et les élémens d’éducation plus larges ; nulle part enfin on ne remarque plus de franche gaieté sur les physionomies, plus d’aisance dans les habitations. J’en appelle à ceux qui ont eu le bonheur de voir de près cette province, de la contempler par un beau jour du haut de la montagne de Saverne, de descendre dans ses vallées, de pénétrer dans ses villages. Quel charme dans l’aspect de ces forêts de hêtres, de ces prairies où paissent de gras troupeaux, de ces maisons simples et paisibles où tout a un caractère d’ordre, de bien-être, de vertus domestiques. Et c’est là l’infortunée province sur laquelle s’apitoie M. Venedey ! et ces robustes paysans que l’on voit passer fièrement à cheval, avec leur grand chapeau de feutre et leur gilet brodé, et qui savent si bien appliquer tour à tour leur labeur et leur intelligence pratique aux travaux agricoles et au mécanisme de l’industrie, ce sont là ces hommes plus grossiers que ceux du moyen-âge ! et cette noble et sévère cité de Strasbourg, qui renferme tant d’excellentes écoles, qui a donné tant d’hommes distingués aux lettres et aux sciences, et qui imprime chaque année tant de livres estimés en France autant qu’en Allemagne, c’est la pauvre ville qui attriste un enfant de Cologne, où la pensée s’assoupit dans les pratiques du bigotisme ! Toute cette Alsace enfin si animée, si prospère, qui joint aux poétiques traditions du passé le mouvement progressif des temps modernes, c’est là ce pays qui est de deux siècles en arrière de l’Allemagne ! et tout cela parce que l’Alsace a le malheur d’être réunie à la France, d’avoir un maire au lieu d’un bourgmestre, et de faire partie intégrante d’une grande nation, au lieu d’être régie par un prince qui donnerait quelques centaines de soldats à la confédération germanique, ou de former une petite république. De bonne foi, est-ce là une idée sensée, et M. Venedey n’est-il pas effrayé de voir que son tableau factice de l’Alsace le conduit exactement au même point de vue que M. de Raumer à l’égard de l’Italie ? Oui, c’est une erreur, une erreur trop palpable pour que le jeune écrivain ne se hâte pas de la reconnaître avec nous, et de la réparer à la première occasion. Nous sympathisons d’ailleurs de grand