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scepticisme ce grand principe moral, inhérent à la nature humaine, et que rien ne saurait ni effacer ni détruire. Mais qu’est-ce que ce principe sans une croyance et une méthode qui en règlent les applications ? En quoi est-il plus certain et plus universel que la loi de causalité par exemple ? À quel titre cette partie de la révélation sera-t-elle établie au-dessus des autres vérités révélées ? Comment soutenir qu’avec ce principe insuffisant pour nous guider dans la vie pratique, nous pourrons nous diriger dans les sciences ? Si ce principe se manifeste dans toute conscience humaine à l’aspect d’un acte libre, ne reste-t-il pas muet en présence d’une pensée abstraite ? N’est-ce pas une rêverie de juger par le principe moral une proposition de géométrie ? N’est-ce pas comme si on voulait voir avec les oreilles et entendre par les yeux ? Quoi ! c’est parce que Galilée était humble de cœur, et non parce qu’il était un grand mathématicien, qu’il a découvert le mouvement de rotation de la terre autour du soleil ? Et c’est avec cela qu’on veut réaliser des progrès et hâter la venue de ces animaux meilleurs qui doivent nous déposséder, et devenir à notre place les souverains du monde sensible !

Soumettre la philosophie à la religion et la raison à la foi, réduire la puissance de l’esprit humain à l’acquisition des idées sensibles, conclure la théorie de la pratique et juger l’astronomie par la morale, se proclamer philosophie du progrès parce qu’on propose de revenir à la méthode des hypothèses et qu’on attend l’avénement sur terre d’une race supérieure à l’humanité, ce n’est faire ni de la religion ni de la philosophie, mais surtout ce n’est pas contribuer au progrès. Pourquoi ignorer l’histoire d’une science où l’on veut marquer sa place ? pourquoi interrompre un jour d’importans travaux historiques pour improviser en passant un système complet de philosophie ? M. Buchez a sur diverses matières des connaissances très variées et très étendues ; il a des intentions droites et honorables, un caractère désintéressé dont sa morale porte l’empreinte. Pourquoi n’a-t-il pas mesuré son souffle ? Il aime sincèrement la philosophie ; mais suffit-il, pour être philosophe, d’aimer la philosophie ?


Jules Simon.