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et apprenaient en latin que « l’idée est la représentation pure d’un objet réellement présent autour de l’esprit. » Quel que fût le but de ceux qui retenaient à ce régime la jeunesse du XVIIIe siècle, le résultat ne pouvait être douteux, et quand on ne connaissait d’autre philosophie que celle de Lyon, on ne pouvait avoir pour une telle science ni assez de mépris ni assez d’indignation. Il y avait sous cette rude écorce, au milieu de ces puérilités scholastiques, quelque chose de sain et de vivant sans doute, et c’était la doctrine chrétienne ; mais, sous ce point de vue même, pourquoi déguiser ainsi un enseignement qui parle si haut à l’esprit et au cœur ? Le catéchisme qu’on apprend aux petits enfans était bien au-dessus de ce formulaire gothique ; celui-là du moins, dans sa simplicité touchante, fait comprendre et aimer la religion. M. Buchez prend la peine de réfuter la Philosophie de Lyon, et c’est bien là une peine perdue ; mais quoiqu’il la réfute, et qu’il essaie de la refaire, il croit encore que c’est la philosophie sérieuse de notre temps. En vérité, parler ainsi, c’est nous calomnier.

Il y a aussi la forme de la scholastique dans la Somme de saint Thomas que M. Buchez a accouplée d’une façon si bizarre avec la Philosophie de Lyon ; mais sous cette forme au moins se cache une pensée puissante. M. Buchez admire avec raison le génie de saint Thomas, et avec raison aussi il ne regarde pas la Somme comme le dernier mot de la science. Mais le croirait-on ? la grande objection de M. Buchez contre la philosophie de saint Thomas, c’est que cette philosophie est païenne ! Il n’y a, dit-il, dans le procédé de saint Thomas qu’une seule chose qui ne soit pas païenne, c’est la question elle-même. L’ange de l’école serait-il mort hérétique, et aurions-nous ici dans M. Buchez un de ces ultramontains toujours prêts à accuser le pape d’hérésie, parce qu’il reconnaît l’église gallicane ? M. Buchez a d’ailleurs d’autres griefs contre saint Thomas. « Saint Thomas reconnaît une raison naturelle, un droit naturel ! » Il déclare « que les inférieurs, et sous ce titre sont compris les esclaves, doivent obéir à leurs supérieurs ! » Il pense que, dans l’état d’innocence, il doit y avoir quelque différence entre les hommes, ne fût-ce que celle du sexe. Cette assertion surtout paraît à M. Buchez difficile à supporter ; il y voit une hérésie formelle ; « elle est opposée directement à un verset de l’Évangile dans lequel Jésus dit que les hommes et les femmes seront tous comme des anges dans le ciel. » Mais ici on pourrait peut-être prendre la défense de saint Thomas, ou du moins, si on le condamne, il faudra condamner aussi saint Augustin, qui dé-