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PHILOSOPHIE DE M. BUCHEZ.

d’avancer sans cesse et de ne s’achever jamais. Il y a des philosophes qui prennent modestement pour but de toute leur vie d’approfondir un seul point, de mettre une seule question dans un nouveau jour ; mais l’intention formelle et souvent exprimée dans cet ouvrage, c’est d’embrasser la science entière, d’innover partout, de faire, en un mot, une réforme radicale. Or, pour réformer une science, il faut en connaître l’histoire. Que dire d’un réformateur dont tout l’effort viendrait aboutir à renouveler à son insu quelque vieux système condamné depuis des siècles ? C’est la pensée qui domine l’introduction de la Métaphysique d’Aristote, le premier et peut-être aussi le plus beau modèle d’une histoire de la philosophie. M. Buchez entre dans la carrière comme Aristote, par la critique des systèmes antérieurs pour montrer ce qui leur manque et essayer de les surpasser. Cette critique est difficile à faire en quelques chapitres, et si l’on voulait contester à M. Buchez la nécessité d’une réforme philosophique, on pourrait soutenir que la cause n’est pas jugée par une instruction aussi sommaire.

Le premier point dont se préoccupe M. Buchez, c’est de savoir s’il existe quelque part, dans un seul ouvrage, un corps de doctrines qui mérite le nom de philosophie chrétienne. Son examen se porte exclusivement sur deux livres d’une nature pourtant assez différente : l’un est la Philosophie de Lyon, l’autre la Somme de saint Thomas.

La Philosophie de Lyon joue un rôle dans l’ouvrage de M. Buchez ; elle partage ses prédilections avec la Logique de Port-Royal. Il cite ces deux livres presque à chaque pas, tantôt pour s’appuyer de leur autorité, souvent aussi pour la combattre ; et quand il s’écarte de leurs doctrines, il appelle cela une innovation. La Philosophie de Lyon, comme chacun sait, servait de manuel pour l’enseignement des colléges, quand cet enseignement se faisait en latin, et était exclusivement confié à des prêtres. Pour la forme, c’était la scholastique toute pure, avec ses distinctions puériles, ses divisions à mille branches, ses argumens réguliers, et tout cet attirail barbare dont l’origine est dans les Analytiques sans doute, mais qui peut être aux trois quarts revendiqué par les moines et les universités du moyen-âge. Le but de la philosophie est d’exposer clairement la vérité, et non pas de cacher des niaiseries sous des phrases obscures et entortillées, mais c’est ce que les auteurs de la Philosophie de Lyon semblent ignorer complètement. Le reste de la France parlait français et parlait raison depuis plusieurs siècles, que les pauvres écoliers de philosophie continuaient encore à raisonner en baroco,