Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/568

Cette page a été validée par deux contributeurs.
564
REVUE DES DEUX MONDES.

rien réformé. Nous avons sous les yeux un bel exemple de cette dose de qualités sobres et fortes dans M. Royer-Collard, qui restaura le spiritualisme dans la philosophie. Eh bien ! Malherbe, en poésie, avait de ces qualités de fermeté, d’autorité, d’exclusion ; Bertaut aucune. Quatre ou cinq doux vers noyés dans des centaines ne suffisent pas pour tirer une langue de la décadence ; il ne faut que peu de bons vers peut-être pour remettre en voie, mais il les faut appuyés d’un perpétuel commentaire oral : tels, encore un coup, Malherbe et Boileau.

Un autre signe que Bertaut n’aurait pas du tout suppléé Malherbe et ne saurait dans l’essentiel lui être comparé, c’est qu’il s’est trouvé surtout apprécié des Scudéry et de ceux qui se sont comportés en bel-esprit comme si Malherbe était très peu venu. L’oncle de Mme de Motteville eût été avec Godeau, et mieux que Godeau, un fort aimable poète de l’hôtel de Rambouillet où se chantaient ses chansons encore, sur luth et téorbe. Et n’eût-il pas très justement fait pâmer d’aise l’hôtel de Rambouillet, le jour où étant malade, et recevant d’une dame une lettre où elle lui disait de ne pas trop lire et que son mal venait de l’étude, il lui répondit :

Incrédule beauté, votre seule ignorance,
Non une si louable et noble intempérance,
Par faute de secours me conduit au trépas ;
Ou bien si la douleur qui m’abat sans remède
Procède de trop lire, hélas ! elle procède
De lire en vos beaux yeux que vous ne m’aimez pas.

L’opinion des contemporains, bien prise, guide plus que tout pour avoir la vraie clé d’un homme, d’un talent, pour ne pas la forger après coup. Or, sous forme de critique ou d’éloge, ils semblent unanimes sur Bertaut, sens rassis, bel-esprit sage, honnête homme et retenu : « M. Bertaut, évêque de Séez, et moi, dit Du Perron, fîmes des vers sur la prise de Laon ; les siens furent trouvés ingénieux ; les miens avoient un peu plus de nerfs, un peu plus de vigueur. Il étoit fort poli. »

Mais l’opinion de Malherbe doit nous être plus piquante ; on lit dans sa Vie par Racan : « Il n’estimoit aucun des anciens poètes françois qu’un peu Bertaut : encore disoit-il que ses stances étoient nichil-au-dos, et que, pour mettre une pointe à la fin, il faisoit les trois premiers vers insupportables. » Ce nichil-au-dos s’explique par un passage de l’Apologie pour Hérodote d’Henri Estienne : on appe-