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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Et dans le courant de la satire qui a un air d’apologie personnelle, il oppose plus d’une fois son tempérament de feu, et tout ce qui s’en suit de risqué, à l’esprit rassis de l’honnête Bertaut. Celui-ci, dans une élégie de sa première jeunesse, a pris soin de nous exprimer ses impressions sur les œuvres de Desportes lorsqu’il les lut d’abord ; c’est un sentiment doux et triste, humble et découragé, une admiration soumise qui ne laisse place à aucune révolte de novateur. Ainsi, pensait-il de Desportes,

Ainsi soupireroit au fort de son martyre
Le dieu même Apollon se plaignant à sa lyre,
Si la flèche d’Amour, avec sa pointe d’or,
Pour une autre Daphné le reblessoit encor.

La pièce est pour dire qu’une fois le poète avait promis à celle qu’il adore d’immortaliser par l’univers sa beauté ; mais, depuis qu’il a lu Desportes, la lyre lui tombe des mains, et il désespère :

Quant à moi, dépouillé d’espérance et d’envie,
Je prends ici mon luth, et, jurant, je promets
Par celui d’Apollon, de n’en jouer jamais.

Puis il trouve que ce désespoir lui-même renferme trop d’orgueil, que c’est vouloir tout ou rien, et il se résigne à chanter à son rang, bien loin, après tant de divins esprits :

Donc adore leur pas, et, content de les suivre,
Fais que ce vin d’orgueil jamais plus ne t’enivre.
Connois-toi désormais, ô mon Entendement,
Et, comme étant humain, espère humainement…[1]

Cependant la beauté de son esprit et l’aide de ses bons patrons attirèrent et fixèrent le jeune poète à la cour. Il suivit Desportes dans la chanson et dans l’élégie plutôt que dans le sonnet ; il se fit une manière assez à part, et, à côté des tendresses de l’autre, il eut une poésie polie qu’il sut rendre surprenante par ses pointes[2]. On le goûta fort sous le règne de Henri III ; il dessinait très agréablement, dit-on ; on peut croire qu’il s’accompagnait du luth, en chantant lui-même ses chansons. Il fut pendant treize ans secrétaire du cabinet ; on le trouve qualifié, dans quelques actes de l’année 1583, secrétaire et lecteur ordinaire du roi. À la mort de ce prince, il tenait de la

  1. Voir cette élégie au tome Ier des Délices de la Poésie françoise, par F. de Rosset, 1618.
  2. Chap. X de la Bibliothèque françoise, par Sorel, qui touche assez bien d’un mot rapide le caractère de chacun des poètes d’alors.