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LE CARDINAL XIMENÈS.

commencée tant que le pape n’aurait pas examiné l’affaire par lui-même. Xinenès ne fut ni étonné ni effrayé ; toujours soutenu par la reine, dont il avait intéressé la conscience à l’entier accomplissement de ce qu’il avait entrepris, il persista, envoya à Rome messages sur messages, et parvint dès l’année suivante à obtenir du saint-siége un nouveau bref qui lui conférait un pouvoir des plus illimités pour mener à bien cette œuvre si contestée.

L’irritation des moines fut si grande, qu’elle alla jusqu’à menacer la vie de Ximenès. Dans leur désespoir, ils suscitèrent contre lui son propre frère, Bernardin de Cisneros, le même à qui il avait donné tous ses bénéfices quand il avait voulu entrer dans le cloître. Bernardin commença par écrire un pamphlet injurieux où il accumulait toutes les accusations passionnées dont l’archevêque était alors l’objet dans les couvens. Ximenès, averti à temps, fit supprimer le manuscrit, et pardonna à son frère ; cependant il paraît qu’il mit à son pardon des conditions si dures, que l’exaspération de Bernardin ne fit que s’accroître. Un jour que Ximenès était au lit malade, ses domestiques l’ayant laissé seul pour qu’il prît un peu de repos, son frère entra dans sa chambre, et après une vive altercation, saisissant, tout hors de lui, l’oreiller, il le lui pressa sur la bouche avec violence, de manière à l’étouffer ; puis il sortit, effrayé de lui-même, et alla se cacher dans un des coins de la maison. Quand les domestiques de l’archevêque rentrèrent dans sa chambre, ils le trouvèrent sans pouls et presque sans vie. On eut beaucoup de peine à lui rendre ses sens. Échappé comme par miracle à cet attentat, il ne voulut plus revoir son frère de sa vie ; on dit même qu’il le fit enfermer dans un monastère, avec les fers aux pieds et aux mains, et qu’il ne lui fit rendre la liberté que plusieurs années après, à la prière du roi lui-même.

Malgré toutes ces résistances, la réforme commencée s’exécuta avec la dernière rigueur. Les panégyristes de Ximenès ont beaucoup vanté sa persévérance dans ce dessein, et des écrivains plus éclairés et plus modernes ont fait en effet de cette entreprise un de ses principaux titres de gloire. Une réforme était sans doute nécessaire à la fin du XVe siècle dans les mœurs du clergé en Espagne comme dans toute l’Europe, et, en portant le premier la main sur des abus depuis long-temps établis, Ximenès détruisit d’avance dans son pays la principale cause qui devait faire éclater, dès le siècle suivant, dans plusieurs états, une si grande opposition contre l’église catholique elle-même. On peut conclure cependant de la résistance désespérée qu’il rencontra, qu’il dut porter dans cette tentative salutaire l’extrême âcreté qui