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Un dernier mot sur le salon.

Nous avons vu l’état d’abaissement relatif de la statuaire et de la haute peinture historique. C’est cependant dans ces genres supérieurs seuls que l’art peut arriver à son plus haut degré d’élévation et d’excellence. Les institutions protectrices et les moyens d’encouragemens existans sont, à la vérité, spécialement établis et employés dans leur intérêt, et, sous ce rapport, leur direction est bonne ; mais en définitive l’organisation actuelle a pour but et pour effet d’améliorer la condition des artistes plutôt que celle de l’art. Sans doute, les causes du mal sont placées trop haut pour que les institutions les atteignent ; mais on peut, à quelque degré, en amoindrir les effets, et dès-lors il devient important de diriger les moyens de manière à leur donner toute l’efficacité possible.

Parmi les nombreuses causes secondaires de décadence de la grande peinture, une des plus actives est l’influence exagérée que ces expositions d’apparat, et si souvent renouvelées, ont donnée à l’opinion publique. Les artistes, entraînés par l’irrésistible attrait de la popularité, et voyant à quel prix on l’obtient, songent moins à bien faire qu’à réussir. Plus désireux de satisfaire le public que de se satisfaire eux-mêmes, ils négligent dans leurs œuvres tout ce qui ne va pas immédiatement à ce but. Les études sévères et profondes du dessin et de la composition, les recherches de pratique, les travaux techniques, auxquels les anciens maîtres consacraient tant de temps et de peine, sont presque inconnus aujourd’hui. Aussi est-on singulièrement frappé de l’infériorité marquée, même comme exécution matérielle, des peintures faites depuis trente ans, comparées à celles non-seulement des beaux temps, mais même du dernier siècle. C’est ce dont on peut s’assurer à Versailles, où les points de comparaison abondent. On ne sait plus faire un pied, une main, une tête, comme les faisaient les artistes d’autrefois ; et nous ne croyons pas qu’il existe aujourd’hui plus de deux ou trois peintres capables d’exécuter un morceau quelconque, comme Detroy, par exemple, ou ce Vanloo, dont le nom est devenu un sobriquet. L’école de David a fait un grand mal sous ce rapport ; car, avec sa préoccupation exclusive du dessin et son étude non moins exclusive de la sculpture antique, elle a mis les peintres hors de leur métier, si on veut nous permettre cette expression. En peinture cependant, le matériel est indissolublement uni à l’intellectuel, comme le moyen l’est à la fin ; négliger l’un, c’est renoncer en même temps à l’autre, et, en fait, on ne les voit jamais séparés.