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LE SALON.

habileté de ciseau. La tête est charmante, et son mouvement, un peu forcé peut-être, acquiert de la grace dans cette exagération même. La pose n’est pas également heureuse dans tous les points de vue. De face, la cuisse et le bras allongés parallèlement dans le même sens, font, par la forte disproportion de leur volume, un effet peu satisfaisant, et la cuisse elle-même cache tout le corps. Du côté opposé, la ligne générale est pleine de grace, mais d’une grace plus voluptueuse que sévère. Le modelé des chairs est partout d’une morbidesse exquise, surtout dans les hanches. Elle est excessive peut-être dans la partie antérieure du tronc, où l’artiste aurait pu ôter quelque chose à la réalité.

Nous regrettons infiniment d’avoir à dire que M. Jouffroy s’est trompé. Sa Désillusion est une erreur de son esprit plutôt que de son talent. C’est là une conception de littérateur et non de sculpteur ; c’est du roman et non de la statuaire. Nous aurions gardé le silence sur cet ouvrage, si l’auteur de cette statue n’en avait déjà fait d’autres qui lui donnent le droit d’être traité sérieusement, et la force de supporter une critique dont la forme seule est sévère.

Le monument funéraire de Géricault par M. Étex n’offre, soit comme invention, soit comme exécution, rien qui dépasse les limites du convenable. Au salon, ce monument n’est rien ; mis en sa place, il l’occupera dignement.

Entre les figures de ronde bosse, les plus dignes d’être remarquées, sinon analysées, seraient celles de la Vierge par M. Mercier, qui offre des draperies d’une belle disposition, et dont plusieurs parties, les mains surtout sont d’un dessin élégant, d’un modelé savant et fin ; d’Icare, en bronze, par M. Grass, et un lion de M. Rouillard ; entre les portraits, ce serait une tête de jeune fille par M. Valois ; parmis les bas-reliefs, les Martyrs du sculpteur romain Tenerani.

Avant de quitter la sculpture, disons encore une fois ce que la presse est obligée de dire chaque année. Réclamons contre l’exclusion dont un artiste est frappé depuis dix ans. Nous ne connaissons ni l’homme, ni ses ouvrages. Tout ce que nous savons, c’est qu’il a le droit de se faire connaître au public par la voie ouverte à tous. Il a ce droit, non-seulement comme artiste, mais encore comme citoyen. Lui refuser ce droit, c’est détruire sa carrière, c’est attenter à son existence, c’est violer sa liberté. Or, nous ne sachions pas qu’en France il y ait des corps ou des individus autorisés à disposer ainsi des personnes, corps et biens, ni qu’il y ait des hommes assez forts pour porter le poids d’une telle responsabilité.