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faiblesse, réel ou apparent. La Porte a pris un mezzo-termine qui, à la vérité n’est ni plus courageux ni plus digne ; mais il déplace la difficulté, il la fait passer de Constantinople à Londres, du divan à l’ambassadeur ; on gagne du temps ; si la décision est favorable au pacha, on dira aux Turcs que ces chiens d’Européens l’ont impérieusement exigée ; si elle n’est pas nette, impérative, on se réserve in petto le droit de l’expliquer, de l’interpréter, de l’éluder ; et puis, un Oriental compte toujours beaucoup sur l’avenir, sur l’imprévu, sur les coups du destin. L’essentiel, pour lui, est de trouver un moyen quelconque, noble ou ignoble, prudent ou périlleux, peu importe, de ne pas terminer une affaire tant que les termes de la conclusion lui déplaisent.

Au fait, la Porte se montre de plus en plus impuissante, incapable. L’Europe voudrait galvaniser ce cadavre. Elle lui rendra quelque mouvement, mais ce mouvement n’est pas la vie. D’ailleurs, si on voulait essayer de la rappeler à une sorte d’existence politique, ce n’était pas en la surchargeant de populations et de provinces qu’elle est hors d’état de gouverner, que ce but pouvait être atteint. Au contraire, il lui était utile de se restreindre et de se concentrer. Ce qu’il fallait, ce qu’il faudrait encore, pour lui rendre un peu de vie, c’est un traité solennel de garantie européenne pour son intégrité et son indépendance, un traité qui l’aurait placée dans le giron de l’Europe comme la Suisse, le Piémont, la Belgique, un traité qui, la délivrant une fois pour toutes de ses terreurs à l’endroit de l’Angleterre et de la Russie, lui aurait laissé pleine liberté d’action et d’esprit pour sa réorganisation intérieure. Et nous entendons par là, non une imitation servile, ridicule, de lois et d’institutions européennes qui ne prendront jamais racine dans le sol de la Turquie, sous les inspirations du Coran, mais des réformes appropriées aux mœurs, aux croyances, au génie des musulmans.

C’est là ce qu’il fallait à la Porte plus encore que la Syrie, Saint-Jean-d’Acre ou Candie. Mais si lord Palmerston a trouvé quatre signatures pour un coup de main, pour un acte de violence, en un mot, pour une imprudence qui aurait pu mettre l’Europe en feu, à coup sûr M. de Metternich et M. Guizot n’en trouveraient pas autant pour un acte qui assurerait pour de longues années le repos du monde. Qu’on demande à la Russie et à l’Angleterre si elles veulent signer une garantie positive et formelle de l’indépendance et de l’intégrité de l’empire ottoman ! C’est là la pierre de touche. C’est là ce que la Porte, s’il lui restait quelque sentiment de ses intérêts et de sa dignité, devrait demander aux puissances, à l’Europe, puisque l’Europe sait bien se mêler de ses affaires. La Russie et l’Angleterre refuseraient, et la Porte, la France, l’Autriche, la Prusse, sauraient à n’en plus douter et pourraient dire au monde entier ce que signifient et les traités qu’on a signés et ceux qu’on voudrait signer encore.

En attendant, la Syrie est livrée à tous les maux du despotisme et de l’anarchie ; les populations chrétiennes ont le droit de maudire le jour où des pavillons chrétiens ont paru sur les côtes de l’Asie.

Des troubles de plus en plus graves agitent l’île si importante de Candie.