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talent, où la placera-t-il ? On n’est guère moins embarrassé s’il s’agit d’une Odalisque ou même d’une Désillusion. Mais passons sur ces difficultés et arrivons au fait.

C’est dans le petit caveau privilégié que nous trouvons heureusement réunis les seuls morceaux qui excitent quelque intérêt et offrent une prise à la critique.

L’Italie ne veut plus attendre qu’on aille la voir chez elle, elle vient cette année se faire représenter à Paris par le plus célèbre de ses artistes vivans, Bartolini, par la plus ingénieuse de ses cités, Florence. La Nymphe Arnina n’est qu’une figure de pure invention ; elle se distingue de loin par cette élégante physionomie d’ensemble et ce jet heureux si communs dans l’antique, si rares dans l’art moderne. Cette figure est toute dans le goût grec ; elle est d’une grace simple qui ne résulte pas du mouvement du corps, mais de la seule disposition des lignes et de la beauté fine et délicate des formes. La nature n’y paraît consultée directement nulle part ; les mains, les bras, les pieds surtout sont d’un dessin plein de goût. Cette statue, sur laquelle on peut très bien juger Bartolini, quoiqu’il en ait fait de plus belles, n’a rien qui puisse frapper ; elle peut facilement paraître froide, car elle n’a pas d’expression déterminée, et l’artiste a moins voulu y représenter la vie que la forme. L’exécution n’offre pas non plus cette recherche détaillée du modelé qui devient nécessaire lorsqu’au lieu d’indiquer seulement les lignes qui tracent la forme du corps on veut représenter le corps même, la chair. Examinée avec cette préoccupation, l’exécution de Bartolini semblera manquer de fini et d’étude ; mais en se mettant à son point de vue, qui était celui des Grecs, on la trouvera suffisante.

L’Odalisque de M. Pradier est conçue et exécutée précisément dans le système opposé. L’artiste s’attache de près à la nature qu’il n’abandonne jamais. Il la suit avec amour jusque dans ses caprices et même dans quelques exagérations ; il l’interprète rarement et la laisse en général parler toute seule. Aussi son exécution, ayant à se prêter à toutes les nuances et accidens fortuits de la réalité, à s’appliquer exactement non plus sur une forme abstraite, mais sur le corps vivant, a besoin de plus de souplesse, et, qu’on nous passe le terme, de ductilité. Nous ne jugeons pas la valeur des deux méthodes, nous cherchons seulement à les décrire.

Cette figure de M. Pradier n’a donc rien d’idéal ; c’est une imitation savante, intelligente et artistique de la réalité, rendue avec une rare